Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
52
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

redouté que Richelieu, l’Italien sentit faiblir son courage. Il se raffermit en songeant que Mariette avait le cœur trop bon pour être ingrate ; il se dit qu’elle viendrait à son secours. Depuis quelques instants, ses deux guides doublaient le pas : les abords de l’hôtel de Richelieu, nommé depuis le Palais-Cardinal, qui se déroulaient dans l’ombre, prenaient pour lui l’aspect d’une prison austère et sombre.

Achevé en 1636, ce grand et bel édifice renfermait alors un prince de l’Église, chétif et malade, recourant à tout pour se guérir, même aux secrets dangereux des charlatans. Trois ans plus tard, un testament de Richelieu cédait le Palais-Royal à Louis XIII ; le ministre avait renoncé à toutes ces magnificences. Pompeo remarqua une seule fenêtre éclairée d’un reflet vif et rougeâtre ; c’était la pièce où Son Éminence travaillait. Corrigeait-il alors les vers de Mirame ou de quelque autre tragédie dont il s’obstinait à se déclarer le père ? Entouré de ses chats pour auditeurs, seul au milieu des ténèbres et du silence, Richelieu songeait-il au poëte Desmarets ou à la maison d’Autriche ? Pompeo l’aventurier, Pompeo l’Italien pouvait-il se flatter d’attirer l’attention d’un pareil homme ?

Cependant le masque venait de déposer son falot sous le porche du vestibule des gardes.

Cette pièce n’avait pour tout ornement qu’un râtelier assez imposant de lances et de piques ; on y voyait des pertuisanes dorées, des hallebardes suisses et des arquebuses allemandes. Pour les gardes du cardinal, les uns jouaient aux dés, d’autres aux cartes, mais tous silencieusement, comme si le moindre bruit eût dû les trahir et les exposer au courroux de Son Éminence. Le cabinet du ministre était cependant assez éloigné de cette salle, les deux masques en prirent le chemin en faisant signe à Pompeo de les suivre.

Quand ils furent dans la galerie, le masque qui avait porté le falot salua l’autre respectueusement, puis se retira.