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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

donneur d’eau bénite à Saint-Eustache, puis enfin valet de Saint-Amand. Il portait souvent les habits de ce dernier, ce qui a été de tout temps l’usage des valets qui ont quelques familiarités avec leurs maîtres. Décemment il le pouvait, car Saint-Amand ne le payait pas, à moins que ce ne fût de grands coups, monnaie dont Mardochée se plaignait fort. Toutefois, plus il mettait de rabats et de pourpoints à son maître, qui fermait complaisamment les yeux sur ces diverses éclipses de sa garde-robe, et moins il était battu, Saint-Amand craignait de détériorer ses effets sur ce pauvre hère. Au demeurant, Mardochée était bossu, louche et bancal, ce qui constituait chez lui une triple rancune contre les hommes beaux et bien faits.

Noué, trapu, ramassé, il enleva le grès de Flandre d’un seul bras, le posa devant son maître Saint-Amand et l’inconnu, puis il se tint à l’écart respectueusement.

La seconde d’après, Mariette se trouvait vis-à-vis de l’Italien, à qui, sur l’invitation ou plutôt sur l’ordre de maître Philippe Gruyn, elle tendit sa main blanche.

L’inconnu comprit ce geste, fouilla lentement dans son pourpoint, pendant que Saint-Amand faisait mine de ne rien voir et agaçait la chatte du cabaret, nommée Marmousette.

Les habitués de la Pomme de pin se regardaient entre eux ; la Ripaille laissait percer sa joie dans ses petits yeux verts, brillants d’envie et de malice ; Bellerose se dandinait, et Mardochée ouvrait déjà, pour mieux rire, sa bouche démantelée de toutes ses dents.

Le masque et son compagnon ne prêtaient pas une moindre attention à cette scène.

L’Italien ne possédait plus un teston ; il avait donné sa bourse au passeux, la sueur mouilla son front. Il regarda Saint-Amand, il toussa ; Saint-Amand corrigeait les vers de son sonnet.

Cependant Mariette, la charmante Hébé du cabaret, se tenait toujours devant lui ; elle attendait, et semblait ne pas