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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

éclat accoutumé. Le lit de serge rouge n’était pas même défait. Il n’y avait qu’une seule armoire d’ouverte.

Charles courut à l’armoire, il y vit, ô surprise ! l’habit de camelot et les chausses de laine qu’il portait, il y avait à peine deux ans, avant de songer à ses rêves d’ambition et d’orgueil. En les reconnaissant, le jeune homme essuya une larme furtive.

— Ah ! dit Mariette, si vous n’aviez pas quitté ces humbles habits !…

— Et pourquoi ne les reprendrais-je pas ! s’écria Charles tout à coup, ne sont-ils pas aujourd’hui ma seule livrée de salut ? Irai-je me présenter à ce peuple furieux sous ce costume, la cause de tous mes malheurs ? Oui, je voudrais trouver en ce moment un vêtement qui fût encore plus misérable, je voudrais…

— Bien, Charles, s’écria la jeune fille ; voilà ce que je n’eusse osé jamais vous demander, ô mon frère ! voilà ce que le lieutenant criminel se réservait de vous prescrire. Ne craignez pas que je m’oppose à ce généreux élan ; qui vous en blâmerait, si ce n’est la voix de ces mêmes hommes dont l’envie maligne vous poursuit ? Ce que vous faites là, vous vous le devez à vous-même, à votre père !… Voyez, ajouta Mariette, comme il les gardait avec soin, ces habits devant lesquels je l’ai bien des fois surpris le regard baigné de larmes ! Votre main, mon ami ; oh ! vous êtes maintenant tel que je vous vis pour la première fois, lorsque les blanches marguerites de notre jardin effeuillaient leur tige fleurie dans la poussière du sentier ! Vous étiez bon, candide, votre cœur débordait de votre regard, de vos lèvres. Moi, qui vous connaissais, j’étais bien fière de vous ! Vous ne vous êtes pas en allé, n’est-ce pas ? vous n’avez point fui, vous ne m’avez point oubliée ? Que vous êtes beau sous ce drap de bure, que votre air est noble et doux ! En vous voyant passer, ils se diront : Il était peut-être gentilhomme ; mais vous leur répondrez que vous l’êtes, non comme eux, par une broderie collée au manteau, par une rapière souvent inutile, par la