Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/273

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

— Grâce, grâce, monsieur ! s’écria Charles, en élevant vers le lieutenant criminel des mains suppliantes.

— Que voulez-vous dire ? demanda le magistrat, auriez-vous, monsieur, quelque révélation à me faire ?

Il se retourna en même temps ému de pitié et de terreur vers Mariette. Le lieutenant criminel poussa un volet afin de voir la figure du nouveau coupable.

— Oui, grâce, reprit Charles, car ce vieillard est mon père ! Ce vieillard, je l’ai tué !

Mariette devint d’une épouvantable pâleur ; ses sens menacèrent de l’abandonner, elle s’appuya contre le comptoir.

Tous trois étaient seuls dans cette vaste salle, d’où l’on entendait le piétinement des chevaux et de la foule sur le pavé. Quelques masques enrubannés, vêtus de fringants manteaux, collaient leur visage de carton noir aux vitres du cabaret ; c’étaient les acteurs de la fête donnée par Charles.

Vaincu par l’émotion et la souffrance, Charles eut encore la force de détailler au lieutenant criminel ce qui s’était passé, il s’accusa lui-même avec des sanglots et des larmes.

— Je suis un misérable s’écria-t-il, j’ai chassé mon père, et le ciel m’en a puni ! Ne me demandez pas si je mérite la mort, continua-t-il dans l’égarement de sa douleur, je ne dois sortir d’ici qu’avec la chemise grise des condamnés et sur le tombereau du Châtelet !

Les explications données par Mariette au lieutenant criminel n’étaient guère de nature à calmer l’exaltation du malheureux. Mariette raconta qu’à peine rentré chez lui, le vieillard s’y était renfermé après l’avoir embrassée au front comme de coutume. Vers les cinq heures du matin, elle avait entendu un léger bruit, puis quelques cris inarticulés. Ouvrant alors sa fenêtre, elle avait pu voir se balancer au poteau du quai le corps de maître Philippe.

À ces détails cruels, le jeune homme vit rouvrir toutes ses blessures. Il se frappa de nouveau la poitrine avec un rugissement étouffé ; puis, se roulant en larmes aux genoux du