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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

d’imprimer à ses victimes après cette formidable secousse qui éteint le râle dans la poitrine du supplicié. Les yeux ressortaient de leur orbite, des yeux sanglants, tout ouverts ; l’éclat de la face était hideux et violacé, un rire étrange et presque sauvage plissait le coin de la bouche. Quelques mèches de cheveux gris couronnant le front s’étaient dressées droites, les jambes du vieillard, froides et raides, n’étaient guère qu’à un pied du parapet de pierres de taille.

Il portait la même casaque et les mêmes chausses qu’on lui avait vues à ce bal ; quelques rubans noués sur son épaule gauche, flottaient en sifflant sur son costume de gala, le costume qu’il ne mettait qu’aux grands jours, et quand le prévôt des marchands s’en venait goûter le vin chez lui.

Avant que Charles n’advint, la foule avait contenu les efforts des deux valets de maître Philippe, qui prétendaient, à l’aide d’une échelle, arracher leur maître à ce gibet ignomineux, car, par un préjugé qui existe encore aujourd’hui, il n’était pas permis, avant l’arrivée des magistrats, de déplacer le corps de la voie publique.

Dans un nuage de poussière élevé du côté de l’Hôtel de Ville, se détachaient déjà les habits bleus des gardes de la prévôté, accourant au galop. Le peuple irrité se préparait à les recevoir à coups de pierres.

— Nouveau mode d’éclairage inventé par Son Éminence, disait un espion de Richelieu, enchanté d’ameuter la foule afin d’y faire ses orges.

— Comme s’il n’avait pas assez en ce moment-ci des mazarinistes.

— Sans compter les protestants et les financiers.

— Nous voilà revenus au temps du Concini, c’est sûr.

— C’est une horreur, une indignité. Ce sera quelque vengeance comme celle exercée, il y a un an, sur le passeux de l’île aux Vaches.

— Un si brave bourgeois.