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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

parlez, vous qui venez ici jeter sur cette fête un crêpe de deuil ; parlez, ou sinon…

Et Pompeo, car c’était lui, s’avança vers le masque du balcon, en mettant la main fièrement à son épée.

La duchesse tressaillit, mais cette voix mâle la rassura.

Samuel l’avait aussi reconnue, cette voix, mais elle ne fit qu’accroître sa rage.

— Oui, je parlerai, dit-il en ayant soin d’assurer son masque sous les plis du capuchon qui le retenait, je parlerai puisqu’on m’y convie ! Je dirai d’abord à ce homme, au noble comte de San-Pietro, regarde, voilà ton père ! Ose ici me démentir !

Charles garda le silence, il s’était voilé le visage de ses deux mains.

— Oui, ton père, reprit le masque, ton père que tu as renié, chassé de cette maison, ton père qui t’aimait et que tu as poussé au désespoir ! Le cardinal n’a point à faire ici, mes nobles seigneurs, car maître Philippe a attaché lui-même ce lacet autour de son cou. Il n’a pas voulu voir le déshonneur de son fils et celui de cette femme, qui n’est pas, qui ne peut pas être la sienne, poursuivit Samuel en indiquant du doigt la duchesse. Cette jeune fille en larmes que vous voyez se rouler et se tordre au pied de ce poteau, où pend un cadavre, c’est une pauvre enfant que le comte de San-Pietro a lâchement abusée, c’est Mariette, qui, se croyant elle-même la fille du cabaretier Philippe, ne l’a point, du moins, abandonné comme son fils ! Et cet homme qui vient ici me parler avec arrogance, cet homme qui me commande de parler, cet homme est son père, c’est l’ancien amant de Teresina Pitti, duchesse de Fornaro, la reine de ce bal ! Et maintenant, mes nobles seigneurs, maintenant que ma tâche est remplie, maintenant que j’ai mis un nom sur ces visages, je ne crains plus de vous dire ici le mien, je suis Samuel !

— Samuel répéta Pompeo d’une voix altérée par la colère Samuel, c’était donc toi…