Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

— Je l’avais deviné, madame ; oui, je ne le vois que trop à l’effroi qui vous accable, si j’étais coupable, vous ne me le pardonneriez jamais !

— Pompeo, reprit-elle hors d’elle-même, il est donc vrai ?

Le masque baissa la tête.

— Eh bien, alors, s’écria-t-elle dans l’égarement du désespoir, Pompeo, voyez à quel point je vous aime. Si coupable que vous soyez, Pompeo, je vous pardonne.

— À moi, demanda le masque avec un rugissement étouffé, et comme si la clémence imprévue de cette femme l’eût frappé au cœur.

— À vous, Pompeo, car moi aussi je suis coupable.

— Vous ?

— Oui, moi, qui ai consenti à lier ma vie à celle d’un homme que je n’aime pas, que je ne saurais aimer ; moi qui ai répudié mes souvenirs, qui sans en avoir le droit, ai consenti à échanger mon nom contre celui d’un homme que le monde me forcera peut-être à mépriser. Ma vie est affreuse, Pompeo, elle est impossible, je vais en déchirer le voile pour vous ; je ne suis point la femme du comte de San-Pietro !

— Je le savais, reprit le masque froidement.

— Mais ce que vous ne saviez pas, c’est que ce lien, je veux le rompre à tout prix. Pompeo, écoutez-moi. Cette nuit, il faut que je parte, cette nuit même il faut que je quitte cette vie de fard et de mystère. Pompeo, venez avec moi, fuyons cette ville, cette fête qui m’enveloppe comme un linceul. Sauvez-moi de lui, Pompeo, sauvez-moi des pièges que je prévois et qui m’entourent ! Sauvez-moi de moi-même enfin. Je vous suivrai partout, j’irai où il vous plaira d’aller, de me conduire, de me perdre !

— Vous m’aimez donc bien, Teresina ? dit le masque en tressaillant.

— Oui, je t’aime, reprit-elle, je t’aime comme autrefois ! Pompeo, je ne suis plus rien, continua-t-elle avec trans-