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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

belles lui envient. Mais voici l’archet de maître Pasquale, le grand ordonnateur des fêtes de Son Éminence elle-même, admirez et jouissez, moi je cours où m’appellent les devoirs de mon emploi. Ah ! pour avoir quitté le théâtre où je brillais, il ne fallait pas moins que l’offre magnifique du noble étranger, qui s’est déclaré mon protecteur. Il appartenait à ce seul magicien de changer ma destinée.

Bellerose quitta ce groupe où il savait que ces paroles porteraient coup ; il frappa alors sur l’épaule du capitaine la Ripaille :

— Tu vois la duchesse, lui dit-il, songe à ce que tu m’as promis.

Teresina se trouvait encore sous le coup de la scène précédente, elle avait le regard terne et immobile d’une femme qui vient d’éprouver une secousse imprévue, cherchant à reprendre son souffle ; épuisée, tremblante, elle était demeurée à la même place, près de Charles, se demandant si tout cela n’était point un rêve. À la vue de ce vieillard, elle avait senti courir dans ses veines un froid aigu ; ses reproches amers, son désespoir, ses imprécations l’avaient tuée. Se trouvait-elle donc la dupe de Charles, elle qui lui-avait fait le sacrifice de son existence, ou bien cet homme, qui venait de quitter le bal, avait-il menti ? Arrachée à son ciel, à sa famille, suivant en aveugle les destinées de celui qu’elle avait cru jusque-là son libérateur, elle ne pensait pas sans frémir à ce qu’elle avait appris : Charles lui-même avait été avec Pompeo complice de sa perte ! Enlacé dans ce réseau fatal, insoluble, elle se débattait vainement. Que faisait-il à cette heure celui que seize ans d’absence n’avaient pu effacer de sa mémoire, ce Pompeo dont l’appui et les conseils lui manquaient ? Teresina regardait ces masques joyeux avec une profonde mélancolie.

En la voyant ainsi, le capitaine la Ripaille n’eût pu lui-même reconnaître cette belle jeune femme qu’il avait trouvée à Florence, ainsi que nous l’avons dit, l’épouse du duc de Fornaro. Avec un empressement qui n’en faisait