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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

sement sa main sur sa hanche gauche et peignait de l’autre ses cheveux longs et soyeux…

— C’est bien, répliqua-t-il d’une voix qu’il cherchait en vain à déguiser, j’aurai soin de vous, maître Philippe.

En même temps, il fit quelques pas vers un groupe joyeux de seigneurs qui se préparaient à prendre place sur les bancs de velours pour voir jouer la farce du capitan Crocodillo.

Mais le vieillard, s’attachant alors au manteau de Charles avec un geste suppliant, l’empêcha de passer outre.

— Illusion ou réalité, dit-il, vous me rappelez, monseigneur, un fils qui faisait ma joie. Depuis son départ, je vis dans la souffrance et les larmes. Ce fils, reprit maître Philippe en baissant la voix, était l’âme de mon toit et l’orgueil de ma maison. Je ne puis lui en vouloir de m’avoir quitté, puisque je le retrouve ici au milieu du luxe et de la richesse. Il est heureux, oh ! oui, aussi me rendra-t-il le bonheur à moi qui me tords dans le désespoir et l’angoisse ! Charles, si c’est à toi que je parle, ne répudie pas tes souvenirs ; si tu es mon fils, ne rougis pas de ton père !

Maître Philippe s’était jeté aux genoux du comte en prononçant ces paroles. Sa contenance était désolée, les pleurs jaillissaient déjà de ses yeux, sa voix et ses mains tremblaient. Il avait reconnu Charles.

— Que veut dire ceci ? demanda au jeune homme la duchesse émue et surprise. Quel est ce vieillard ? parlez.

Mais Charles Gruyn, au lieu de répondre directement à Teresina, reprit :

— Relevez-vous, vieillard, vous vous trompez, laissez-moi.

— Tu ne me reconnais pas, poursuivit maître Philippe, dis plutôt que tu me renies ! Rappelle-toi, Charles, tes propres caresses d’enfant, lorsque tu jouais, tout petit encore, sur les genoux de ta mère, ma pauvre Ursule, Ursule que j’ai perdue il n’y a pas encore deux ans ! Elle était si bonne, et elle t’aimait tant, ta mère ! Si tu veux me répu-