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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

res damasquinées, venues à grands frais de la Suisse et de l’Allemagne, des trophées rares, des chevaux caparaçonnés avec leurs cavaliers armés en guerre, des modèles de galères pavoisées comme à Malte ou à Venise, des bronzes, des statues, un musée réel enfin ; dans la seconde salle, un magnifique buffet garni de vermeil, flanqué de six robinets d’argent qui versaient le vin à profusion ; des fruits des îles, des pièces de viande froides. Un orchestre placé dans la tribune qui ornait le milieu de cette pièce, faisait entendre déjà des symphonies, pendant que les comédiens du Théâtre-Italien, devant représenter la farce du Capitan Crocodillo, s’agitaient en face, sous la toile de leur théâtre improvisé.

Il était huit heures du soir, et nul des invités n’avait pu encore pénétrer dans les salons de l’hôtel, à l’exception des symphonistes et des acteurs, quand une voix criarde sortie des cuisines fit retourner vivement Bellerose, qui donnait alors des ordres. Presque en même temps un personnage fort étoffé de taille, et qui ne paraissait marcher qu’avec peine dans son domino de satin noir, arriva vers le comédien les bras tendus.

Comme il tenait son masque à la main, Bellerose n’eut pas de peine à le reconnaître.

— Mon cher Bellerose ! s’écria le nouveau venu du plus loin qu’il l’aperçut, sauvez-moi, mon ami, de la persécution de vos gâte-sauce. Dès que ces drôles m’ont vu me glisser avec l’agilité qui m’est ordinaire à travers ce flot de peuple qui obstrue l’entrée, ils se sont mis à crier « Voilà le capitaine Crocodillo ! » Non contents de me poursuivre de leurs lardoires, ils m’ont accablé de quolibets, tant il y a que j’en ai déconfi deux d’un coup de platassade pour l’exemple des autres. Par la mordieu ! si je ne savais pas ce que rapporte le jeu d’escrime !… Mais je le sais trop bien, mon cher Bellerose, puisque d’aujourd’hui seulement je sors de prison… Je vous conterai cela. Oui, un truand avec qui j’ai ferraillé l’autre jour devant le palais de Son Éminence… Ah çà ! quelle est donc cette farce du capitan Cro-