Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/232

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
225
LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

quai, pendant que Charles suivait Cesara à travers la cour de l’hôtel, en toute hâte.


XXVI

UN AMI.


Mariette demeura ainsi quelque temps absorbée dans sa stupeur.

Un coup si terrible et si imprévu brisait ses forces ; tout ce qu’elle put faire fut de se traîner d’abord jusqu’au bout du quai ; arrivée en ce lieu elle pensa défaillir…

À cet instant même, une inspiration soudaine vint traverser son esprit ; cette idée lui rendit une partie de son courage. Retourner chez maître Philippe, déchirer le cœur de vieillard qui l’avait recueillie elle-même, pauvre orpheline, lui paraissait trop cruel ; elle se résolut à ouvrir son âme au seul homme qui pût comprendre sa douleur. Cet homme était son unique ami ; elle s’achemina vers la demeure de Pompeo.

— À lui seul, pensa-t-elle alors, je dirai tout ; d’abord parce qu’il est moins sévère que maître Philippe ; puis, n’a-t-il pas souvent promis de me protéger, moi, faible enfant ? n’a-t-il pas compati bien des fois à mes chagrins ? Souvent, il me l’a dit, il a ployé sous la main de fer des événements ; il m’apprendra, lui, comment on souffre ! Ah ! je le sens, j’ai laissé sur le seuil de cet hôtel ma vie et mes espérances ; mes yeux roulent des pleurs ; je ne lui ai pas même caché combien je l’aimais !… Il l’aura épousée dans ce pays dont Pompeo m’a entretenue tant de fois, où le bal et les palais ne sont que folie, où les volcans eux-mêmes sont une image du cœur ! À demain ! m’avait-il dit dans ce rêve menteur, et demain est venu, et ce jour m’apprend que je ne lui suis plus rien !

En marchant et en parlant ainsi, Mariette ne s’apercevait