Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
223
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

m’a protégé, cela est vrai ; maintenant nous sommes quittes, ajouta-t-il avec un effort.

— Bien vrai ? dit Mariette en pressant la main de celui qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer.

Charles allait répondre et tromper de nouveau la tendresse de Mariette, quand une nacelle, un fanal au front, glissa sur le fleuve au milieu des ténèbres… La chaleur était intense, le ciel était devenu de plomb ; une main souleva les draperies de l’embarcation légère, et se plaça ensuite sur les cordes d’un luth… La voix du chanteur laissa tomber les stances suivantes :

Que fais-tu, beau gentilhomme,
Qui viens de Parme ou de Rome ?
Reviens, ta femme t’attend.
Ne crains-tu pas qu’on te suive ?
À minuit sur cette rive
L’ombre du passeux descend.

Elle descend sous les saules,
Le sang couvre ses épaules,
L’ombre a des gémissements.
Beau cavalier, que t’importe ?
Toi que l’ivresse transporte,
Toi qui promets et qui mens !

La nacelle avait ralenti sa marche comme si le chanteur eût craint de n’être point entendu. Elle fut bientôt hors de portée, et, virant de bord, elle glissa de nouveau comme une flèche sur la Seine. Charles demeurait fixé à la place qu’il occupait, les bras pendants, le cerveau plein de vertige. Mariette, effrayée de sa pâleur, lui en demanda la cause.

— Je ne sais pourquoi cette chanson m’a troublé, murmura-t-il. Mariette, quittons-nous ; plus tard je te reverrai !

— Qu’avez-vous donc ? demanda la jeune fille.

— Rien, Mariette ; tu ne connais pas la voix qui chantait cette chanson ?