vois et je touche le petit sachet qu’on vous avait mis au cou, j’entends votre mandoline envoyer le soir, à la Seine, de folles bouffées de musique… Nous étions heureux, nous nous aimions ! ajouta Charles avec un soupir, et cependant le ciel ne nous avait point faits l’un pour l’autre !
— Que voulez-vous dire ?
— Qu’il y a deux hommes en moi : l’un enfant rêveur, simple et candide comme vous, que la passion ride à peine comme l’eau du lac, et qui cependant frémit de trouble à la seule pression de votre main, qui se surprendrait de longues heures à vous entendre gazouiller comme l’oiseau ; l’autre un composé de marbre et de fer sur lequel découle l’ambition en lave fougueuse, et qui, une fois échauffé par elle, devient inaccessible à tout autre contact qu’à celui de ses pensées dominatrices. Voudriez-vous de cet homme-là, Mariette ? comprendriez-vous ses ardeurs dévorantes, ses insomnies, son martyre ? Ne serait-il pas plutôt le fantôme ennemi de votre sommeil, l’ennemi juré de votre vie ? Et c’est à un pareil être que vous proposeriez de reprendre une existence stérile ! Mariette, je vous aime ; mais je ne puis, sachez-le, jouer mon rôle d’autrefois. Revenir dans la maison de mon père, essuyer de nouveau les dédains de ces seigneurs ! Y pensez-vous ? Et que diriez-vous de moi ?
— Je dirais, Charles, qu’il est doux au voyageur de se reposer après une journée de feu et de fatigue ; je dirais que c’est une grande tristesse que votre bonheur si vous l’achetez au prix de votre repos ! Mais j’ai foi dans vous, dans vos souvenirs, vous m’aimez, vous êtes libre. Qui pourrait, répondez, vous détourner maintenant de la voie du devoir ? qui pourrait vous faire une loi de m’oublier ?
— Rien, répondit Charles ; aussi je ne t’oublie pas ! Tu seras toujours, enfant, ma meilleure, ma plus constante pensée !
— Cependant, Charles, cette femme…
— Cette femme, reprit Charles embarrassé, cette femme