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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Cette écriture est bien la mienne, monsieur, reprit-il, en jouant le calme. Mais, continua-t-il sur un ton rassuré, il a fallu le danger que courait alors la femme que j’accompagnais pour me déterminer à ne point marchander votre assistance… Il a fallu cet orage, ce lieu écarté, ce cadavre sanglant et à demi consumé qui gisait dans cette cabane, pour que j’acceptasse vos conditions.

— Et maintenant que le péril est passé, maintenant que vous revenez en France sous un autre nom, vous refusez, n’est-ce pas ? répondit le cavalier avec ironie. Ce que c’est que de voyager, ah ! l’on oublie vite en Italie !

— Mais qui êtes-vous donc, demanda Charles piqué au jeu, vous qui connaissez tous mes secrets, et qui, cependant, semblez si jeune ? Qui êtes-vous, vous qui prétendez lier ma vie ?

— Quelqu’un, sachez-le, à qui vous aviez promis la vôtre… quelqu’un, ajouta l’inconnu d’un ton de voix altéré, qui n’eût pas hésité à se sacrifier pour vous, et qui cependant s’est sacrifié pour sa rivale…

— Sa rivale ! Mon Dieu, mais c’est donc ici à une femme…

— Me reconnaissez-vous, Charles ? dit le jeune homme en ne déguisant plus sa voix sous le masque, et en le faisant voler loin de lui.

— Mariette ! c’est Mariette !

— Oui, c’est Mariette ; Mariette, que vous aimiez avant de rencontrer cette femme maudite, la source de mes chagrins et de mes malheurs ! Je n’avais que trop pressenti l’empire que sa beauté funeste exercerait bientôt sur vous, je prévoyais déjà qu’elle ferait de vous un ambitieux, je devinais aussi son orgueil ; mais la distance qui vous séparait tous deux comme une barrière infranchissable me rassurait. Sans cela, Charles, vous eussé-je laissé partir ? Aurais-je donc moi-même sauvé cette femme ! Oh ! je fus bien folle, cela est vrai, mais vous me suppliâtes, il vous en souvient, avec des larmes !… Vous me la dépeignîtes entourée de mille pièges, elle qui semait déjà la ruse et les ténèbres autour de votre esprit, elle dont je vois toujours les yeux