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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

XXV

LE CHANTEUR DE L’ÎLE AUX VACHES.


Le lendemain, Charles était exact au rendez-vous.

En abordant ce lieu où s’était passé le drame le plus important de sa vie, le jeune homme ne put réprimer un mouvement de crainte et d’inquiétude.

Entre les ajoncs du fleuve où s’élevait autrefois la cabane de maître Gérard était une petite barque à demi défoncée par l’eau ; dans cette barque on avait planté une mauvaise croix de bois noir…

Ce lieu était devenu bien vite un lieu maudit et désert.

L’autorité, en relevant le cadavre du passeux, l’avait trouvé d’abord si défiguré qu’elle avait eu peine à le reconnaître… Le feu avait consumé jusqu’aux indices de ce terrible attentat ; les papiers de la duchesse contenus dans le coffre étaient devenus la proie des flammes, quand maître Gérard avait cherché à l’entr’ouvrir au moment de l’explosion.

L’opinion publique n’avait donc pu s’expliquer ce meurtre inouï ; mais l’édilité avait profité de cette fin sinistre pour confisquer tous les droits du passeux à son profit. Elle avait aboli sa charge et n’avait pas même répugné à démolir sa cabane.

Ce fait accompli, les suppositions les plus absurdes n’avaient pas manqué de circuler, la légende même du passeux de l’île aux Vaches était devenue à Paris aussi vulgaire que celle du moine bourru.

Parvenu en cet endroit, Charles éprouvait donc une sorte de frayeur superstitieuse.

Les saules de la rive penchaient vers lui leur chevelure, humide encore de l’ouragan de la veille ; chaque angle de la maison, chaque pierre revêtait à ses yeux une forme bizarre, fantastique. Il était huit heures du soir, et le ciel