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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

pour déconcerter cette fois vos ennemis. Rassurez-vous, madame, le crédit de Richelieu est usé, Mazarin commence, et avec lui un nouveau règne. Ouvrez votre âme à l’espoir, voyez l’avenir d’un air calme et raffermi. Après ce duel malheureux où mon ennemi est tombé, la, fuite me fut conseillée par vous ; si, après avoir erré quelque temps, j’ai choisi la France pour le lieu de votre retraite et de la mienne, c’est que votre place est en France. Autour de vous déjà je vois la ville et la cour s’empresser d’un air soumis ; êtes-vous d’aventure assez faible croire aux présages ? L’ouragan s’est dissipé, je reconnais d’ici le fleuve aux rives vertes qui baigne ma ville. Approchez-vous de ce balcon, la nuit est redevenue sereine, le ciel vous sourit, et moi je suis à vos pieds.

La comtesse de San-Pietro venait d’appuyer sa malin au fer du balcon ; elle la retira instinctivement, comme si elle eût senti le contact visqueux d’une couleuvre.

— Qu’avez-vous ? demanda Charles.

— Rien, répondit-elle, mais tout me trouble, tout m’alarme. Ces flots de la Seine eux-mêmes ont une teinte de sang ! Je vois s’y refléter tour à tour l’ombre rouge du cardinal et celle de cet homme qui m’a pris le meilleur de ma vie, celle de Samuel, mon persécuteur, murmura la comtesse sans que Charles pût l’entendre.

Charles Gruyn était en effet sous le charme de cette éblouissante demeure, il s’admirait et se félicitait avec complaisance. Pendant que Teresina fermait la fenêtre, il s’était approché d’une sonnette, il la tira, et Bellerose parut.

— Avez-vous rempli fidèlement mes intentions ? demanda Charles au comédien.

— Monsieur le comte, répondit Bellerose, sera satisfait ; la fête a lieu dans trois jours.

— Une fête, un bal ? demanda la duchesse avec angoisse. En même temps elle soupirait, elle interrogeait d’un regard tremblant, absorbé, le visage de Charles.

— Bellerose, reprit celui-ci, conduisez vous-même ma-