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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

railleuse de nos gentilshommes de France, vous les humilierez, chacun se courbera devant votre parole de reine. Rencontre imprévue que celle-ci, direz-vous, étonnement merveilleux ! Marbres portés par les fées et les génies ! Qu’importe, madame la duchesse ! n’êtes-vous donc pas aussi belle, voyez, que ce portrait délicieux et sévère à la fois du Giorgione, aussi éclatante aussi pure que cette statue amenée des jardins du cardinal Bibiena ? Vous porterez ici avec majesté le sceptre de la grâce. Oubliez, Teresina, ce que votre vie eut d’aventureux ou de terrible ; commandez !

Et comme elle se taisait, absorbée par la contemplation de ce qu’elle voyait alors, Charles reprit en lui montrant les tableaux, de cette pièce :

— Ne connaîtriez-vous donc pas, madame, l’histoire de Danaé, qu’aima Jupiter ? Ah ! vous êtes plus belle que Danaé, Vénus ou Diane, plus belle qu’Aréthuse et que Daphné ! Essayer de vous plaire est, je l’avoue, une téméraire entreprise, mais cette entreprise, j’ai dû la tenter ; cette demeure sera désormais la vôtre. Comme un pèlerin miraculeusement sauvé consacre à tout jamais, par un monument ou un autel, la mémoire du péril dont l’intervention céleste l’a sauvé, j’ai voulu, moi, au sein de cette ville même, bâtir un temple à mes souvenirs, et le plus profond, le plus chéri, le plus indestructible de ces souvenirs n’était-il pas celui de votre délivrance, Teresina ? Ah ! quand je me suis trouvé à mon insu acteur dans ce drame sinistre où il s’agissait de votre perte, où tout se liguait contre vous, même la nuit, quand sur la grève du passeux je m’agenouillai, il y a un an, n’espérant plus rien que du ciel, pouvez-vous penser que je n’aie pas adressé aux anges un vœu recueilli d’eux seuls ? Au milieu de vos cris d’alarme, devant cette mort qui vous disputait à mon amour, j’ai prié, prié longtemps… Mais enfin le ciel s’est rendu à mes désirs, il permet que je revoie ce pays où vous avez bien voulu vous abriter sous mon nom