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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

robe, ses cheveux, son voile, ruisselaient sur le parquet ; elle était sans voix, frappée d’une étrange et muette stupeur, comme une femme de qui la foudre eût touché le corps. Charles lui prenait les mains, il cherchait à la réchauffer ; mais les yeux de Teresina ne s’étaient pas même ouverts.

Insensiblement, cette frayeur horrible se calma ; la raison revint à la comtesse ; elle promena autour d’elle un regard lourd.

Bellerose, à peine remis lui-même, l’admirait encore dans une sorte d’extase, quand Charles Gruyn lui fit signe de le laisser seul. S’approchant alors de Teresina, le jeune homme se mit à genoux devant elle, attendant qu’elle parlât, ému et palpitant comme s’il eût franchi la distance d’un précipice.

La comtesse de San-Pietro écarta ses cheveux d’une main appesantie, et fixant les splendeurs du lieu où elle se trouvait, comme à travers un voile :

— Où suis-je ? demanda-t-elle en touchant ses vêtements humides de pluie ; qui donc est là devant moi ?… Oui, continua-t-elle, il m’en souvient… je me suis déjà réveillée une fois, glacée par l’eau qui ruisselait ainsi sur mon corps ; un homme était aussi à mes pieds… Il y a un an de cela… Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! continua-t-elle en se voilant le front de ses deux mains, c’était horrible !…

— Teresina, reprit Charles en la voyant ainsi égarée, calmez-vous, je vous en conjure.

— Mais où suis-je donc ? demanda-t-elle de nouveau en se soulevant sur le sofa.

— Chez vous, Teresina, cet hôtel vous appartient. N’aurait-il pas le don de vous plaire ? le trouvez-vous indigne de vous recevoir ? Parlez, à votre voix seule ce palais s’éclairera ; parlez, et dans trois jours tout ce que Paris possède d’hommes splendides, de femmes nobles et belles, se pressera alentour de vous, mendiant l’aumône de votre regard. La pourpre de Castille, l’orgueil d’Italie, la fierté