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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

dit le poète ; ce serait vraiment dommage que le comte fût reçu ici par le tonnerre ; J’ai ouï dire à la vieille marquise de la Fare, que le soir où elle avait mis le pied dans son château de Bourgogne pour la première fois, la grêle avait brisé les vitres de ses fenêtres ; elle redemanda ses chevaux et partit le lendemain.

— Le comte de San-Pietro sera moins superstitieux que la marquise, mon cher, dit Bellerose en cachant mal un vague sentiment d’inquiétude.

Il revint à la table, où Saint-Amand se versa une rasade copieuse de malvoisie.

— À ses souhaits, dit Saint-Amand en vidant son verre ; moi, je vais rejoindre ma chambre près de la place Dauphine. N’oubliez pas, du moins, de lui parler de moi, Bellerose, je veux lui apprendre à rimer, cela est de mise ; aujourd’hui on ne parle plus qu’en vers.

Le comédien pressa la main du poëte ; en le reconduisant, il trouva un exprès chargé d’une lettre pour lui.

À peine Bellerose en avait-il brisé le cachet, qu’il laissa échapper un geste d’étonnement ; le billet en question était de Pompeo et contenait ces simples paroles :

« Mon cher Bellerose, ma liberté se trouve menacée en ce moment-ci, n’espérez donc pas me revoir avant un temps. Une vengeance mystérieuse me poursuit, ma tête est à prix, j’ai dû me cacher dans Paris même. Si je souffre de me voir ainsi sujet aux persécutions les plus vives, en revanche une voix si pure et si profonde me console, que j’ai voulu l’enfouir loin de tous les yeux comme un trésor. Ma vie est changée, maintenant, je ne vis plus pour moi seul. Un jour, bientôt peut-être, je vous reverrai et je vous en dirai plus. En attendant, recevez dignement votre noble maître, et pensez quelquefois à son architecte Pompeo. Adieu. »

En parcourant ce billet, la première idée de Bellerose fut que l’Italien avait conquis les faveurs de quelque dame en puissance d’époux, et qu’il avait intérêt à lui cacher son