Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

lures ; ses hautes croisées s’ouvrant sur la Seine laissaient apercevoir un monde étincelant de dorures, de coupoles et de corniches ; le cristal des lustres éblouissait, un air de grandeur et de majesté régnait partout.

Le soir était venu, et ses larges ombres drapaient la Seine…

Dans une pièce reculée dont les panneaux représentaient des oiseaux des îles, des fruits, des satyres, près d’une cheminée revêtue du plus beau marbre de Sicile, un homme était assis devant une table chargée de papiers ; un secrétaire copiait des lettres sous sa dictée, pendant qu’un coureur en jaquette de soie orange et rouge attendait les missives dont le maître allait le charger.

Ce maître était Bellerose…

Le menton appuyé dans sa main, d’un air profond et méditatif, le comédien dictait alors des invitations à Saint-Amand, type rêveur et paresseux des poëtes d’alors, qui faisaient un peu de tout, et recherchaient le patronage des grands seigneurs pour abriter leur indolence habituelle. À chaque tournure de phrase de Bellerose, Saint-Amand hochait la tête comme s’il eût blâmé cette rédaction, qui en effet était passablement ampoulée… Deux énormes candélabres, garnis chacun de quatre bougies, brûlaient sur la table recouverte d’un tapis vert ; un flacon de vin de Malvoisie servait à entretenir la longanimité du poëte.

Devenu secrétaire en attendant mieux, Saint-Amand suait dans son harnais. Soixante lettres ou billets venaient de se voir expédiés par lui depuis le matin, et chacun avec une formule variée suivant le rang de l’invité.

Ce travail terminé, Bellerose se leva et donna sa correspondance au coureur, en lui recommandant de faire diligence dès le lendemain au petit jour.

Le comédien et le poëte passèrent alors ensemble dans une vaste et somptueuse pièce, dont un dais de satin occupait le milieu. Au-dessous de ce dais, un lit exhaussé sur une estrade étalait son fronton empanaché.