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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

bras qu’il serrait ; vous envoyez trop vite les gens dans l’autre monde, monseigneur !

— Que voulez-vous de moi ? que demandez-vous ? demanda le masque d’une voix éteinte, et cédant à la pression vigoureuse de Pompeo.

— Rien, absolument rien que de facile, monseigneur, que vous me suiviez, voilà tout. Nous irons, si tel est votre bon plaisir, par les quais, jusqu’à la rue des Lions-Saint-Paul. La promenade est peut-être un peu longue, mais nous l’avons déjà faite ensemble… il doit vous en souvenir ?

— Oui, certainement… mais lâchez-moi… ou je vais appeler, dit l’homme en se débattant.

— Monseigneur, dit Pompeo je dois vous prévënir qu’au premier cri de Votre Excellence, un tout petit poignard catalan, que m’a donné, en Espagne, une hôtelière du nom de Pepa, suffirait pour vous faire taire. Nous allons, si tel est toujours votre bon plaisir, causer raison. Vous vous rappelez fort bien ce que vous me fîtes faire, il y a plus d’un an, dans la rue des Lions-Saint-Paul, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Moi, de mon côté, je ne l’ai point oublié. Je vois toujours cette chambre dont je décrirais le moindre détail, et cette femme voilée que vous me dîtes de jeter en Seine… Mais vous n’avez pas oublié non plus, monseigneur, à quelles conditions je me fis, ce soir-là, votre valet, je veux dire votre bourreau… Un homme existait alors à Paris ; il y est, il s’y cache encore, je le sais, cet homme ; vous promîtes de me le livrer, vous me le promîtes devant Dieu… Vous savez mieux que tout autre ce qui vous a empêché de tenir votre parole. Maintenant, monseigneur, peu m’importent vos motifs ; je viens vous dire qu’il me le faut, que vous me le devez, que je le veux sur l’heure, ou bien je vous tue…

La voix de Pompeo, gonflée par la rage et la colère, acquérait en ce moment une sonorité lugubre ; sa figure, contractée par les passions violentes qui l’agitaient, était devenue si terrible, son geste si fier, que le masque se sentit