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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

clochers assombris, donnent au tableau un relief étrange, un relief digne de Mazzo, le peintre enfumé de l’Escurial.

En cette partie de la ville, le retentissement des églises rappelle, par sa sonorité et sa fréquence, les carillons de la Flandre ; les agrès, les cordes, les bateaux de pêche indiquent le travail ; l’odeur de la Seine elle-même a souvent celle des canaux épars autour du palais ducal. Si la mode n’y tient plus aujourd’hui ses comptoirs exclusifs, si les canotiers ont succédé aux riches seigneurs, si les seuls visages des marchands de bois flotté remplacent les physionomies de cour qui brillaient jadis en ce lieu même dans les somptueux salons d’Ogier[1], du marquis de Richelieu et de Lauzun, c’est qu’insensiblement Paris se déplace, et que l’île Saint-Louis n’est plus aujourd’hui que la queue du monstre aux cent bras. L’Olympe des dryades et des amphitrites est remplacé aujourd’hui par la confrérie des blanchisseuses ; la Seine, en cet endroit, foisonne d’une infinité de bateaux, et les Lycurgues de l’Hôtel de ville ne permettent pas que le gaz s’étende plus loin que le pont Marie.

À quelques pas de l’hôtel de Pimodan, s’élève cependant encore aujourd’hui l’hôtel Lambert, sous les plafonds duquel rayonne l’aigle de Pologne.

Or, cette portion du quai n’est pas plus éclairée le soir que celle de l’hôtel de Pimodan.

Après avoir franchi le seuil de l’hôtel sur la porte duquel ne brillait point alors la plaque de marbre, qu’on peut y voir à présent[2], Pompeo se trouva introduit par Belle-

  1. « Ogier (Pierre-François), receveur général du clergé de France, dit Germain Brice, très-fameux et des plus redoutés entre les gens d’affaires, à une maison située sur le quai d’Alençon ; elle ne se distingue pas beaucoup à l’extérieur de celles des environs, mais les vues règnent sur l’Arsenal et les Célestins, les appartements sont d’une richesse qui va jusqu’à la magnificence, l’or y est prodigué partout avec profusion, ce qui fait présumer que le maître a travaillé avec succès pour en acquérir. » (Germain Brice, tome II, p. 185).
  2. Elle indique le nom de ses anciens maîtres ; car la famille de