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LES MYSTÈRES DE L'ÎLE SAINT-LOUIS

rien qu’à voir ce regard mort, ces lèvres violettes et cette pâleur de chartreux.

La lecture de la Bible une fois faite, maître Philippe avait serré la main de Pompeo et s’était rendu à son comptoir, envahi déjà, nous l’avons dit, par une foule d’ouvriers employés au nouvel hôtel élevé dans l’île[1].

— On ne se plaindra pas de notre paresse, disait l’un : en six mois nous avons assez travaillé pour ce seigneur. Il est vrai que la paye est bonne… Maintenant que voici la pierre façonnée, les murs élevés, il ne manque plus que le peintre. Les ornements de cet édifice rivaliseront avec ceux du Palais-Cardinal. Quel peut donc être ce mystérieux propriétaire ?

— Quelque partisan gorgé de la sueur du peuple, comme ce M. Ribaudon que protégeait tant Monsieur.

— Un ami du cardinal, l’une de ses créatures !

— Imbécile ! puisque c’est un étranger, un Italien !

— C’est vrai, M. Bellerose nous a même dit son nom. Attends donc, je demanderai à l’un des laquais du duc d’Ornano s’il connaît ce nouvel hôte.

— Après tout, qu’importe ! Il aura là une belle demeure ; la pierre et le marbre n’y ont point été épargnés.

— Sans compter la vue qui, ma foi, s’étend jusqu’au Louvre. Le balcon est placé presque en face de votre porte, maître Philippe. Oh ! vous deviendrez vite le cabaretier de ce seigneur-là, c’est sûr.

Maître Philippe Gruyn, le regard collé contre l’une des vitres, examinait alors en effet la façade que présentait le nouvel hôtel. Les planches et les charpentes ne le masquaient plus, et sur l’une des cheminées on avait planté déjà le bouquet d’honneur.

— Toute mon ambition, mon rêve, pensait le cabaretier, eût été de faire bâtir une maisonnette entourée de vignes

  1. L’hôtel de Pimodan. Il porta ce nom depuis.