Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

de foi ; Pompeo croyait au sourire de Mariette… Les rayons émanés d’elle rétablissaient le calme au sein de son âme ; ils l’attiraient forcément. Mariette n’était-elle pas d’ailleurs une pauvre orpheline dont le cœur allait au-devant de lui avec son regard ; quelque chose de doux et de triste ne s’attachait-il pas à son existence brisée ? Le cabaret de maître Philippe devint bien vite le refuge de Pompeo. Il n’y buvait pas, mais il y songeait.

Lorsque Mariette et lui se rencontraient, tous deux se devinaient, car tous deux avaient souffert.

Mariette, abandonnée par Charles Gruyn, vivait avec des pensées si tristes dans le cœur, que l’Italien en avait pitié. Sans pouvoir s’expliquer ce que le fiancé de la jolie cabaretière était devenu, il ne se rappelait que trop dans quelle circonstance il l’avait vu pour la dernière fois. Charles l’avait aidé dans une sombre et fatale mission. Pompeo en avait fait son complice à son insu. Cet incident ténébreux augmentait l’intérêt de l’Italien pour la jeune fille. Le fils de maître Philippe se serait-il tué, ou l’aurait-on fait périr ? Le bruit de sa mort avait suivi celui de sa fuite. Pompeo éprouvait une terreur indicible à retrouver dans ses rêves ces deux figures : l’une effarée, inquiète, celle de Charles, pressé par lui, Pompeo, de l’aider à pousser dans l’eau ce sac terrible ; l’autre, celle de la femme inconnue qu’il avait enfermée dans cette toile comme un immonde bétail. Il lui survenait alors de si lugubres pensées qu’il entrait dans un cimetière pour y passer tout le jour, au lieu de s’en aller boire et noyer son chagrin dans la bouteille comme il eût fait autrefois. Ces jours-là il fuyait le cabaret de maître Philippe, il errait par les carrefours, recherchant de préférence les rues désertes et silencieuses. Son costume était devenu le plus parfait miroir de la ruine et de la misère, il cachait son visage sous les ombres d’un capuchon, serrait sa robe usée avec un vieux ceinturon de cuir, et ressemblait moins à un capitan qu’à un moine. Il ne parlait plus guère qu’à Mariette. Vous eussiez tremblé