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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

vérité, n’eût reconnu Pompeo sous cette défroque misérable et triste. À dater de cette nuit fatale où l’Italien, dans le but unique de saisir une vengeance, s’était fait complice d’un crime, il s’était vu malgré lui reporté vers le cabaret de maître Philippe. Mariette, il faut le dire, entrait pour beaucoup dans cette préférence de Pompeo pour la demeure du cabaretier.

Une religion vague, un instinct secret enchaînait Pompeo à la mélancolie de Mariette ; l’heure de récréation de la jolie fille était devenue son heure. Auprès du cabaret, dans un espace rétréci, était un petit jardin ; on y jouait à la paume aux jours d’été, mais le reste du temps c’était une sorte de parterre inculte où filaient tristement de monotones rayons de soleil sur des berceaux où le pinson ne chantait plus. C’était un endroit si triste, qu’un buveur s’y serait maudit lui-même devant un flacon de chypre ou de hongrie, et cependant Pompeo y allait souvent chercher le calme loin des rumeurs de la ville ; son cœur révolté, plein de haine, s’y apaisait.

Mariette l’avait surpris bien des fois en ce lieu écarté, versant tour à tour des larmes amères, ou se livrant aux sombres pensées d’une âme jalouse ; car, pour Pompeo, être jaloux c’était encore vivre, l’amertume des soupirs cachait chez lui la vengeance.

Pompeo n’avait pu réussir à retrouver l’homme qui l’avait accompagné à sa sortie du Palais-Cardinal, il l’avait demandé vainement à tous les échos, à tous les abords de cette splendide caverne de Richelieu.

Une année entière s’était consumée de la sorte pour l’Italien en sombres recherches, investigations ardentes, insensées, pleines de tourments, car son guide masqué lui avait promis de le faire rencontrer face à face avec l’ennemi qu’il poursuivait, avec celui que tout lui donnait le droit de haïr.

Il en était résulté pour Pompeo une sorte de folie.

Le souffle de la haine passait encore avec tant de force