Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
LES MYSTÈRES DE L'ÎLE SAINT-LOUIS

lain, l’avait mis à même de gagner la frontière de Milan ; en cette ville, il s’était vu forcé d’abandonner jusqu’à ses nippes. Bellerose employa tout son pathos pour déterminer Charles à abandonner la partie ; Charles était riche, il devait se mettre à l’abri avec son trésor.

— Je ne puis comprendre, disait Bellerose, que l’on se batte pour une princesse ailleurs que dans les pièces de théâtre. Outre qu’on est bien sûr d’en revenir, on se bat en vers de M. Rotrou, ce qui est toujours une belle compensation.

D’ailleurs, ajouta l’ami de Charles, tu es parti comme une bombe du milieu de nous ; maître Philippe Gruyn, ton respectable père, se désole, et son cabaret en souffre. Pour Mariette, j’aurais honte de t’en parler, ton ingratitude va la conduire au tombeau. Enfin, te voilà riche, et te faire tuer est une fantaisie tout comme une autre. Tu l’auras voulu, et je reviendrai en France, le crêpe au bras, désolé d’avoir servi de second à un imprudent, à un fou ! Parce que tu m’as vu m’enfariner la figure, parce que je ne suis pour toi qu’un misérable histrion, tu ne me crois pas capable de te donner seulement un bon conseil ? Mon conseil, le voici : je m’en vais trouver les magistrats et leur dirai le lieu de ton rendez-vous ; j’ajouterai, en prenant la chose sur moi, que tu m’as chargé d’expliquer ta conduite à ce comte Salviati ; qu’il n’est pas séant qu’il te tue après t’avoir remis son argent. C’est une façon de reçu que je n’admets pas. Toi, pendant ce temps, tu gagneras la France, tu reverras ton père et Mariette. Je ne vois pas trop ce que tu peux dire à cela, à moins que tu ne veuilles en finir avec la vie. Mais la vie te sourit, mais, encore un coup, te voilà riche, et si le comte te tuait…

— S’il me tue, reprit Charles en s’asseyant à la table du comédien, sur laquelle il traça rapidement quelques lignes, voici un écrit qui dépose de mes dernières volontés ; promets-moi, Bellerose, de l’exécuter de point en point, car c’est un legs sacré. Jure-moi que tu n’en rompras les ca-