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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

depuis longtemps la méchanceté de cet homme ; sa présence à cette fête ne pouvait lui présager qu’un malheur. L’éclat de l’insulte avait attiré bien vite les regards sur elle ; on l’avait vue trembler et pâlir ; puis, quand ses forces avaient défailli, elle avait pu recueillir sur son passage des rires insultants et dédaigneux. En apercevant Charles à ses genoux, Charles éploré, tremblant, elle crut sortir d’un rêve.

– Vous ici ! demanda-t-elle ; il ne vous a donc pas tué ! il a eu peur !

Et comme il gardait le silence :

– Oh ! je le vois, dit-elle, vous vous battez ce matin. Le comte Leo Salviati n’est point homme à pâlir devant l’épée d’un enfant ; et qui êtes-vous, Charles, sinon un novice courageux, plus accoutumé aux jeux de la force qu’à ceux de l’adresse, plus jaloux de combattre un tigre qui brise sa chaîne que de lutter avec ce duelliste acharné ?

La duchesse, en prononçant ces paroles, regardait Charles avec une douloureuse compassion.

— Si jeune ! murmura-t-elle, si jeune et déjà mourir ! Car votre courage ne peut vous sauver ; cet homme est sûr de lui, il sait où s’arrêtera la pointe de son glaive. Folle que je suis d’avoir été moi-même au-devant de vos idées d’ambition ! folle que je suis d’avoir remis le pied dans ce monde dont la douleur m’avait séparée jusqu’alors comme une barrière ! Du moins s’il vivait encore, lui dont le courage et le bras étaient si sûrs, il vous eût protégé, couvert de son corps ; il eût tué le comte, ajouta la duchesse dans l’égarement de ses pensées et de sa stupeur.

– De qui donc voulez-vous parler, madame ? demanda Charles ; de votre mari, peut-être ?

– De mon mari… poursuivit-elle en sa voyant ramenée par Charles à elle-même ; d’un homme que vous n’avez pu connaître, mais qui, lui du moins, fut loyal et bon… Ce Salviati n’est qu’un lâche ! Oser me soupçonner, moi, la duchesse de Fornaro, d’être votre maîtresse ! Ah ! c’est une