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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

nouveaux enjeux déroulaient autour de lui leur sillage d’or ; chaque poitrine était gonflée, chaque œil avide, chaque main fébrile. La partie continua.

La sueur mouillait le front de Leo, ses meilleurs amis perdaient courage ; lui, cependant, demeurait impassible, et il se contenta de dire à Charles :

– Quitte ou double !

Il laissa tomber ces paroles plutôt qu’il ne les prononça devant le cercle ; son œil était vitré et se colorait par moments de teintes sanglantes.

Charles Gruyn accepta.

Deux pyramides d’or, qui devaient bientôt s’épancher comme deux fleuves, marquaient la limite des deux armées. Giuditta s’était rangée du côté de la fortune, elle-même semblait encourager le jeune homme, confondue comme elle se trouvait alors dans le groupe des joueurs. Giuditta craignait Leo, mais elle se souvenait alors encore plus de ses trahisons et de ses insultes. C’était bien elle qui lui avait écrit à Rome pour le prévenir des assiduités du jeune homme près de la duchesse, la perfidie étant son recours habituel, et le comte Leo ayant eu l’imprudence de manifester dans cette lettre au comte Pepe son amour pour la duchesse de Fernaro.

Un cri violent, ou plutôt une tempête de voix se perdant en un seul cri, vint lui apprendre que la banque avait sauté.

La perte du comte Leo Salviati était telle, que toute la fortune du cardinal Bibiena, son oncle, l’eût à peine comblée, et cependant il était cité comme un des princes les plus opulents de Rome.

Tous ceux qui partageaient la chance de Leo Salviati l’entourèrent, et ce fut bientôt autour de lui un concert de plaintes et de récriminations haineuses.

– Se laisser ainsi dépouiller par un homme que nous ne connaissons même pas !

– Le comte de San-Pietro quelque noble de contre-