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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Charles soutint ce regard d’un air calme et froid, tout en se reprochant d’avoir suivi le conseil de la duchesse, et visiblement confus d’avoir écrit à une femme qui semblait le dédaigner.

Pour la première fois, peut-être, il comprit le danger qu’il y aurait eu pour lui d’irriter cette sirène, entourée alors de tout ce que Florence possédait de plus brillant, soulevée comme une plume légère par le caprice, mais se fiant à l’enthousiasme ; il se repentit d’avoir osé blesser sa vanité. Giuditta, dès lors, l’inquiéta comme un péril ; elle refroidit la hardiesse de son entrée. En cherchant la duchesse, son point d’appui ordinaire, il lui fut facile de voir que Teresina, tout en écoutant l’archiduc, l’entretenait de son protégé ; son regard bienveillant lui rendit presque le courage.

— Après tout, se dit-il, ne suis-je pas son libérateur ?

Monseigneur, dit en ce moment la duchesse en prenant Charles par la main et en s’adressant à l’archiduc, monseigneur, permettez que je vous présente le comte de San-Pietro.

Charles s’inclina ; l’ivresse et l’orgueil gonflaient son cœur ; il releva le front, et considéra le cercle qui l’entourait.

Sa grâce, sa figure, son air de franchise ne pouvaient manquer de lui faire des partisans ; étranger à ces hommes, il ne leur en parut pas moins digne de la faveur et de la fortune. Mais le monde vous aime et vous écrase, mais l’envie s’attache à ceux qui charment ; le comte de San-Pietro put entendre, en se retournant, cette phrase prononcée aussi vite qu’elle se perdit dans la foule :

— Qu’est donc ce jeune homme à la duchesse de Fornaro ?

— Hélas ! murmura Charles en regardant celle qu’il avait faite l’objet de la plus sérieuse tendresse, hélas ! il n’est que trop vrai, je ne lui suis rien, rien qu’un embarras, un ennui ! Ah ! je ne le sens que trop, la ruine de mon amour est consommée car la duchesse a payé sa dette, elle m’a