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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Après tout, ce n’est pas chez elle que vous allez ; c’est à la fête prochaine de l’archiduc, une fête splendide, à ce qu’on s’accorde à dire déjà ; des musiciens d’Italie, des comédiens venus de France, un éclat, un luxe… Je vous en conjure, mon ami, ce sera moi qui disposerai tous vos rubans ce soir-là. Parlez, que voulez-vous ? mes diamants sont les vôtres. Quand Giuditta vous verra si beau et si paré, elle n’aura d’yeux que pour vous. Mais vous semblez ne pas m’écouter ; vous regardez le bouquet placé dans ce vase ; c’est votre bouquet, mon ami. Mais, continua-t-elle, c’est le vôtre ; ne me vient-il pas de vous ?

— Ce bouquet, reprit Charles avec une exaltation d’impatience, ce bouquet, madame, c’est un mensonge ! Quand votre voiture vous emportait, cette femme, cette Giuditta me l’a jeté… Elle était là, je l’ai vue…

— Elle a eu raison, répondit la duchesse. D’abord, ces fleurs sont très-belles… Et puis ce n’est pas moi qui eus alors arrêté son bras…

— Pas plus que vous n’arrêtez le mien, madame, s’écria Charles avec impétuosité en jetant par la fenêtre le bouquet de la cantatrice… Voilà ma réponse à ta maîtresse, ajouta-t-il en se penchant vers la Moresse qui ramassait sur le pavé les fleurs éparses et déliées de leur fil…

La lèvre de Charles frémissait encore, son cœur se brisait, il referma la fenêtre avec violence.

— Enfant ! dit la duchesse en cherchant cette fois à le calmer, mais en lui dissimulant l’émotion profonde qu’elle ressentait, enfant ! qu’avez-vous fait pour vous attirer ainsi à tout jamais peut-être la colère de cette Giuditta ! Moi qui vous aime, je désirerais tant vous voir heureux !

— Vous m’aimez ! répondit Charles avec un amer sourire, vous m’aimez, et vous souffrez qu’une autre… Oh ! non, non, mille fois, poursuivit-il avec des sanglots, vous ne m’aimez pas, vous ne m’aimerez jamais !

La duchesse pâlit ; elle était touchée de la douleur du jeune homme. Quelque temps il s’était tu, il avait renfermé