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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

cœur est calme ?… Autrefois je tremblais lorsque Pompeo devait venir… Ah ! je le disais bien, c’est que tout est mort en moi.

En proie à ces réflexions poignantes, la duchesse s’était assise. La fenêtre du salon demeurait ouverte. Charles l’y trouva penchée. Quand il entra, elle regardait alors sur la place du Palais-Vieux, où se tenait toujours la Moresse. Au bruit des pas de Charles, la duchesse se retourna.

Il était pâle, il tenait en main un papier. Un cercle bleuâtre, étendu sous ses yeux, accusait chez lui le manque de sommeil et la fatigue.

Après avoir salué la duchesse, il prit un siége et lui présenta le billet qu’il avait froissé entre ses doigts. Elle le lut, sourit, et le rendit tranquillement au jeune homme.

La sérénité de la duchesse produisit sur Charles un effet contraire à celui qu’elle attendait ; il se leva brusquement.

— Ainsi, madame, lui dit-il, vous ne voyez rien qui m’empêche d’accepter ce rendez-vous ?

— Rien, répondit la duchesse.

— Et vous trouvez convenable à moi d’y répondre sur-le-champ ?

— Convenable ; vous êtes libre.

— Cette Giuditta vous parait digne de mon hommage ?

— On la dit belle ; pour moi, je ne l’ai point vue.

— Savez-vous bien, madame, poursuivit Charles sur le même ton de dépit, que je vous croyais moins indifférente à ce qui me touche, et que vous me feriez haïr à la mort cette femme qui m’écrit ?

— Pourquoi la haïr ? demanda tranquillement la duchesse. Ne vous a-t-elle pas déjà rencontré à Florence ? n’a-t-elle pas entendu vanter votre grâce, votre mérite ? Vous êtes noble, généreux. Hier encore, continua la duchesse d’un ton de voix véritablement pénétré, vous avez fait, Charles, une action que vous envieront les plus braves. Pourquoi ne pas vouloir que cette femme, instruite de votre brillant exploit, cherche à vous voir, à vous apprécier de plus près ?