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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Un instant, il crut voir l’une de ces sibylles magiques dessinées si largement par le Dominiquin ou Carrache ; ses mains tremblantes retenaient alors à peine le bouquet du comte ; elle allait peut-être le laisser tomber, quand le cocher de la duchesse toucha l’attelage du bout de son fouet.

Éperdue, brisée, ne songeant plus même à la pluie qui mouillait déjà ses épaules, Giuditta se dressa alors sur ses pieds avec un effort désespéré ; puis d’un mouvement nerveux, elle jeta au jeune homme que la voiture emportait le bouquet du comte.

Pepe fit un mouvement, mais la litière était déjà partie à tours de roue…


XV

UN TITRE.


La demeure de la duchesse s’élevait en face du vieux palais de la seigneurie, palais austère, gigantesque, hérissé de créneaux, et surmonté du beffroi hardi qui sonna tant de fois pour Florence l’heure des factions ou des victoires.

Décoré au dehors des vieilles armoiries de sa famille, semé de fresques sur son ample façade, solide, verrouillé à l’égal d’une forteresse, ce palais de la duchesse de Fornaro semblait caractériser la guerre civile ; il rappelait la fin du treizième siècle et les Gibelins.

L’abandon auquel il s’était vu en proie durant de longues années ajoutait à son aspect sévère et triste.

Depuis quelques mois cependant la duchesse l’habitait ; c’était de temps à autre un bruit inaccoutumé de chevaux et de laquais, mais les fenêtres en étaient éclairées rarement, et l’on ne se souvenait pas que la duchesse y eût jamais tenu cercle.

Ce matin-là, — c’était le lendemain de la scène au Pratolino, — les rideaux du salon de la duchesse venaient d’être tirés plus tard que de coutume, les femmes arrosaient les orangers de la cour, ou bien se tenaient, l’aiguille en main,