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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Les mantelets de la voiture étaient relevés, Giuditta pouvait voir…

Elle vit cette femme et ce jeune homme, et le plomb fondu coulant dans ses veines l’eût moins fait souffrir. Si Charles était beau de tous les agréments de la force et de la jeunesse, la duchesse lui parut belle de cette beauté noble, impérieuse, qu’une courtisane, à force d’art, n’obtient pas. Giuditta se sentit blessée au cœur.

Cependant le ciel venait de se couvrir peu à peu de nuages lourds, le vent changeait, l’horizon semblait s’attendre à un orage… Quelques visiteurs regagnaient leur équipage, l’horloge de la villa florentine sonnait cinq heures… Le comte Pepe parlait de partir, il n’étudiait pas, d’ailleurs, sans une vive inquiétude, chaque mouvement de la cantatrice…

Toute l’attention de Giuditta était concentrée sur la duchesse ; elle éprouvait à sa vue d’horribles tortures, l’aiguillon de la jalousie était entré aussi avant dans son cœur que les ongles du tigre dans les chairs du coursier que montait Charles…

Bientôt il ne resta qu’elle avec Rodolfo et Pepe à ce balcon…

Un roulement de la foudre semblait l’avertir de se retirer ; l’éclair éblouissait, elle descendit.

Elle se trouva vis-à-vis de la litière ; en ce moment, Charles portait à ses lèvres les mains glacées de la duchesse ; il les réchauffait sous ses larmes, sous ses baisers…

La voiture qui devait les ramener tous deux à Florence allait s’ébranler ; le cocher tenait les rênes…

Par un mouvement machinal, Charles tourna la tête en ce moment et il vit Giuditta.

La flamme qui sortait des yeux de la cantatrice, son front devenu mat et aussi blanc que la cire, la fermeté étrange de sa pose, le frémissement de sa lèvre émue, tout, jusqu’à l’immense nappe de ses cheveux épars au vent, concourait à arrêter sur elle le regard distrait du jeune homme.