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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

— Le fait est, insinua Rodolfo, qu’il nous arrive ici chaque jour de ces prétendus seigneurs dont à Paris on n’eût pas voulu pour des pages ; la cour de Madrid et celle de France n’en sont pas chiches. Il me prend envie d’en laisser un sur le pré l’un de ces jours, afin d’apprendre aux autres à ne point se mêler impunément à des gens de notre espèce.

— Vous êtes belliqueux, seigneur Rodolfo, dit Giuditta avec un ton d’ironie. Mais on ne vous dit pas heureux au noble jeu de l’escrime, et malgré votre courage…

Rodolfo se mordit les lèvres, il souffrait encore d’une blessure reçue du cavalier de la Maisonfleur, un marquis français avec lequel il s’était pris de dispute au sujet de la dernière campagne d’Italie.

— Vous me porterez peut-être bonheur, dit-il à Giuditta ; il vaut mieux se battre pour deux beaux yeux que pour un plan de stratégie.

La conversation se vit alors interrompue, assez heureusement pour Rodolfo, par l’arrivée de l’un des valets du comte Pepe, accourant en toute hâte… Le visage de cet homme était aussi blanc qu’un linge ; tout son corps tremblait. Il n’eut que le temps de prononcer les paroles suivantes :

— Sauvez-vous, ou sinon vous êtes morts !

— Es-tu fou, Beppo ! demanda le comte Pepe, en prenant des mains de son laquais effaré un délicieux bouquet que, dans son trouble, Beppo oubliait de présenter à la cantatrice…

Giuditta le reçut avec insolence, il était pourtant composé des fleurs les plus rares ; mais soit que de pareils présents la touchassent peu, soit plutôt que la pâleur du laquais de Pepe l’alarmât, elle remercia à peine le comte…

— Eh bien, qu’est-ce ? qu’y a-t-il ? demanda celui-ci à Beppo.

— Excellence, fuyez ; l’un des tigres envoyés récemment à l’archiduc vient de rompre sa chaîne, il s’est perdu dans cette partie du parc…