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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

sait sa Florence sur le bout du doigt. Il vous dira tout, il a le génie inventif. Pour quelques scudi, il suit à la piste les gens qu’on lui ordonne d’espionner. Si c’est de moi que vous êtes inquiète, chère Giuditta, il vous rendra bon compte de mes allées et venues… Mais vous ne m’aimez pas assez, je pense, pour être jalouse. Vos préférences sont connues, et depuis que certain cavalier venu de France passe chaque matin sur son cheval devant les fenêtres de votre palais… Enfin, c’est votre rêve, votre idéal… vous l’aimez sans savoir seulement s’il vous aime…

La cantatrice rougit, le comte venait en effet de toucher juste. Rodolfo, moins instruit que le comte des fantaisies de Giuditta, se hasarda à demander à Pepe quel était cet étranger.

— J’ignore son nom, mon cher, mais il y a quelqu’un à Florence qui pourrait peut-être nous l’apprendre…

— Et qui donc ? reprit Giuditta.

— Qui, ma toute belle ? par ma foi, vous jouez de malheur, c’est…

— Parlez…

— Eh bien, c’est cette duchesse de Fornaro.

La surprise et le dépit se firent jour dans les traits de Giuditta ; mais comme elle était comédienne avant tout, se remit, et affectant un air calme, elle se borna à demander au comte Pepe quel était le mari de la duchesse.

— Elle est veuve et libre, reprit le comte ; le gouvernement de Florence l’a remise en possession de tous ses biens ; elle est alliée aux plus nobles de cette ville. Sa maison, décorée des plus belles fresques et des plus beaux marbres, est située sur la place du Palazzo-Vecchio, mais elle en a trois autres sur celle de Sainte-Croix. Ce jeune cavalier qui l’accompagne partout est sans doute son écuyer ; dans tous les cas, il est impossible de manier un genet d’Espagne avec plus d’adresse. Je conçois qu’il ait pu vous plaire, ma chère Giuditta ; mais est-il noble ? est-il gentilhomme ? c’est là le point capital.