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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

XIV

LE BOUQUET.


Neuf mois après ceci, par une de ces ravissantes journées de septembre, que la douce Italie peut comparer encore à celles de son printemps, trois personnes étaient assises sur l’une des pelouses vertes du Pratolino, près de Florence…

L’aspect de ces magnifiques jardins embaumés alors de l’âpre senteur de mille plantes aromatiques, la pente facile de ses ruisseaux, l’air tiède et suave passant sur les géraniums et les genêts d’or, la façade grandiose de la villa, son dessin hardi, pittoresque, tout cela eût pu émouvoir un étranger récemment venu en Toscane ; mais nos personnages étaient tous trois d’Italie, et ce n’était pas la première fois qu’ils se trouvaient réunis en ce lieu de plaisance où la noblesse florentine promène encore aujourd’hui son faste, son oisiveté ou son ennui.

Ainsi jeté sur les gazons des jardins, ce groupe rappelait ceux de Boccace ou de l’Arioste ; la grâce de ses attitudes, son élégance et surtout le choix de ses costumes, semblaient appeler le pinceau d’un peintre.

Devant une nappe étendue sur l’herbe, au milieu de deux jeunes gens merveilleusement faits et galamment équipés, une femme de vingt à vingt-trois ans écoutait, le verre en main, pendant que son nègre balançait au-dessus d’elle une ombrelle à franges d’or. Ce qu’elle écoutait, c’était la lecture d’une lettre que l’un d’eux venait de tirer nonchalamment de son justaucorps de satin blanc. Or, s’il fallait en juger à ses distractions fréquentes, à son impatience mutine, et surtout aux gimbelettes qu’elle passait à son nègre, cette épître devait intéresser médiocrement la signora Giuditta, cantatrice attachée à la maison de l’archiduc.

L’Olympe des théâtres n’avait peut-être encore rien