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LES MYSTERES DE L’ILE SAINT LOUIS

de toutes mes suppositions, je demeurais convaincu du passage d’un être singulier dans cet hôtel, quand le concierge voulut bien m’apprendre qu’un locataire s’y était amusé à faire des préparations chimiques. Cet acte de vandalisme pouvait étrangement compromettre ces magnifiques peintures ; elles en ont été quittes pour quelques taches. L’odeur âcre de la teinture n’a pas peu contribué à leurs souillures, mais les propriétaires de Paris sont ainsi faits, ils veulent avant tout faire des baux et s’assurer leurs pleins revenus. La difficulté d’une location pareille les effraye, de là une incurie profonde, résolue, pour tout ce qui la concerne. Je vous ai parlé du concierge qui m’escortait, c’était l’unique serviteur de cette maison, il ne l’avait pas quittée depuis son enfance, il demeurait seul chargé de ce lourd fardeau. Je ne sais pourquoi, malgré ses ténèbres et sa poussière, ce vieux palais vénitien, au bord de la Seine, me séduisit ; mais en le quittant, je me promis de le revoir, et bientôt j’y vins rêver tous les jours.

Je ne fis pas même difficulté d’avouer en stances ce beau caprice :

Philis, ô pardonnez, ce n’est plus vous que j’aime !
Vraiment ce n’est plus vous, excusez ce blasphème,
Vous cependant si belle et que j’aimai longtemps ;
Non ! c’est un morne hôtel, débris de l’ancien temps,

Qu’on aima comme vous, jadis, sous le vieux règne !
Il est bien loin de vous, mais la Seine le baigne.
Lauzun, le fier Lauzun y joua des monts d’or,
Son portrait rayonnant au mur flamboie encor.

On dirait, à le voir, du jeune et beau Fiesque !
Ce vieil hôtel dans l’île est une immense fresque
Dont rosaces, festons, astragales d’amour,
Comme en un grand ballet accomplissent le tour.

J’y vais depuis huit jours rêver… C’est tout un monde
D’oubli, de solitude et de splendeur profonde,