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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

En parlant ainsi, je ne voyais même plus sa laideur ; j’étais ému. La cloche de la prison vint à sonner ; la ronde des gardes commençait.

— Joshua, repris-je, il faut que vous acheviez votre œuvre. J’ai la clef de Jeronimo, le geôlier ; dépouillez votre manteau et couvrez-m’en ; de cette façon, je pourrai sortir.

Et comme il hésitait :

— Vous direz, ajoutai-je, que je vous ai menacé, que vous avez eu peur de ma violence ; on vous croira. En un mot, vous direz ce que vous voudrez ; mais je vous préviens que je tire sur vous les verrous de ce cachot.

Avant qu’il eût pu me répondre, j’avais endossé sa cape et rabattu son feutre sur mes yeux ; je pris même son masque et je me le collai sur le visage sans répugnance. J’en eusse fait autant d’un pestiféré, tant j’étais ivre de joie.

Je rendis moi-même sa clef au geôlier. Les portes franchies sans obstacle, je courus à une osteria, dans laquelle couchaient des voiturins. J’arrêtai mon passage avec l’un d’eux ; je partis. Le son du campanile fut bientôt le seul bruit que j’entendis ; je me retournai, j’étais déjà loin de Florence.

Mille idées confuses assiégeaient mon esprit pendant ce voyage ; à chaque étape je tremblais ; j’avais mon masque, on me prit bien vite pour un sbire. Arrivé en France, je n’eus rien de plus pressé que de me rendre à l’adresse que m’avait donnée Joshua. On me renvoya comme un fou de cette maison.

Ma figure ne me servait guère, je dois l’avouer ; mon aspect était pauvre, mon air inspirait la méfiance. La révolte des huguenots commençait. En voyant le roi de France engagé dans une guerre étrangère, ils avaient cru le temps favorable pour se montrer. Le duc de Rohan et M. de Soubise, son frère, étaient regardés comme les principaux chefs. J’entrai à leur solde et je fis la guerre en Languedoc. Au siége de la Rochelle, je m’étais traîné à demi mort