Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
101
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

de France, Paris lui ayant semblé la ville la plus propice où celle que j’aimais pût se dérober au courroux des siens et cacher sa faute. Sa science l’avait sauvée ; son enfant, il l’avait déposé sous un toit qu’il m’indiqua. Tout d’un coup et au moment où il devait compter sur la reconnaissance de celle qu’il avait sauvée, son évasion subite avait eu lieu. Le reste, je le savais, puisqu’elle était à un autre.

Si je me surpris alors à croire à la vérité de ces aveux, c’est que la joie m’étouffait. Mon enfant existe, je pourrai le voir, m’écriai-je. Qu’importe après cela la trahison de sa mère, son abandon, son oubli ? Ma fille est sauvée, elle vit, elle est en France, et c’est vous !…

Je m’arrêtai malgré moi, vaincu par la défiance qu’il m’inspirait. Il me paraissait cruel de devoir à cet homme le moindre sentiment de gratitude. Cependant son récit venait de me tirer pour ainsi dire de la tombe, j’entrevoyais un rayon d’espoir, mon âme renaissait avec mes forces. Depuis qu’il avait parlé, la voûte du cachot me semblait légère, j’aspirais à en sortir, j’en étais le maître, je tenais la clef de Joshua.

— Docteur, lui dis-je alors, il ne vous sera rien fait ; je vous crois, je veux vous croire. Oui, vous avez sauvé mon enfant, j’aurai un jour une fille qui sera la divine sœur des anges ! Sa mère est morte pour moi, mais ma fille m’aimera ! Je serai pour elle un esclave soumis et empressé, comme je l’étais pour celle qui m’a trompé, qui m’a fui. Elle coulera des jours filés d’une soie plus fine que la robe des madones, plus doux que le vent du soir sur l’Arno. Si vous ne m’avez pas trompé sur le lieu de sa retraite, Pompeo vous appartient, disposez de lui, il vous doit tout. Si je reviens un jour à Florence avec cette enfant, c’est à votre porte que j’irai frapper, elle vous connaîtra, je lui apprendrai à vous chérir. Je suis d’une race où l’on se souvient, j’oublie cependant que je vous dois mes malheurs en fait de fortune. Oui, je l’oublie, ajoutai-je, je l’oublie pour ne me souvenir que d’une chose, c’est que je vous dois ma fille !