Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

que je pus comprendre, tant la perception des objets m’était devenue difficile, venait de nous ranger comme un bétail immonde dans la cour. Le soleil tombait d’aplomb sur mon crâne nu, la douleur éteignait en moi tout sentiment… je tombai. Ce fut seulement alors que je crus entendre ces paroles jetées par un homme au geôlier Jeronimo, à voix basse :

— Jeronimo, celui-ci est mort, son cadavre m’appartient.

— Une vague terreur s’empara de moi à cette phrase morne et brève. La vie me quitta, je me sentis lié par un sommeil léthargique… Combien de temps dura ce sommeil ? je ne sais ; mais quand je rouvris les yeux, un homme, ou plutôt un spectre, était devant moi, tenant son scalpel en main. Déjà même la pointe aiguë de son instrument avait pénétré ma chair… Je me relevai comme un taureau piqué par la lance du picador.

C’était bien le même masque, le masqué, homme ou démon, qui avait porté la main sur le corps de Matteo !…

Retrouvant ma force dans ma blessure, j’arrachai le velours qui cachait ses traits, et alors je vis… un monstre !…


IX

LE PACTE


Son visage n’appartenait en rien aux traits ordinaires de la création ; c’était si je puis m’exprimer ainsi, un second masque qu’il portait sous le premier, et que ma main soulevait.

Des cheveux roussâtres, semés par places, couvraient un crâne affreusement mutilé, brûlé, calciné par une sorte de liqueur vitriolique… À son nez recourbé en serre d’oiseau, on reconnaissait le juif ; mais les yeux étaient d’un brun de sang et se mouvaient sous des arcs dépouillés entièrement de leurs sourcils. Un menton hideux et fuyant accusait chez lui les passions basses et lâches ; l’aspect de la bouche con-