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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Il se rassura, et il poursuivit son étude opiniâtre sur le cadavre ; il enfonça plus avant le scalpel dans ces membres taillés sur le modèle d’une statue grecque. Il allait, il dépeçait, comme il eût fait d’un sujet de boucherie, jetant de temps à autre les yeux sur un livre ouvert, s’arrêtant pour le consulter, puis continuant après avoir repris haleine…

Je le regardai d’abord, en proie à un étonnement stupide ; puis, tout d’un coup, je ne le vis plus, le sang bourdonnait à mes oreilles, le froid de la mort gagnait mes pieds. Vous dire les tourments que j’éprouvais alors m’est impossible un instant je crus que Matteo allait crier…

Enfin, je m’évanouis…

Oui, je m’évanouis, moi, ce même homme qui avait plus d’une fois marché dans le sang sous le feu des escopettes ; je m’évanouis comme une femme, moi, Pompeo, un condottiere, presque un bandit !

Mais, c’est que je ne vous ai pas dit assez l’acharnement de cet homme… Cela tenait à la fois du sacrilége et de la démence !… Matteo était un révolté, j’en conviens ; mais, n’était-ce pas assez pour lui du glaive de la loi ? Enfin, que ce fût alors illusion ou réalité, il me sembla que cet homme avait prononcé mon nom à deux fois au milieu d’interjections confuses.

Devais-je donc avoir le même sort que Matteo ?

Cette idée m’épouvanta, je me demandai aussi quel était ce mystérieux anatomiste…

Je n’avais pu voir ses traits, mais le son de sa voix, bien qu’assourdi, m’avait fait pâlir… Quand je repris mes sens, je voulus de nouveau regarder ; mais il avait disparu. La nuit était complète dans cette salle dont toutes les fenêtres étaient fermées. Je pensai qu’on en avait retiré le cadavre de Matteo…

La mort de ce généreux compagnon avait produit sur moi une impression telle de découragement, que je me jurai à moi-même de le rejoindre. Résolu à périr, je bou-