Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

deux ennemis se battaient pour un adverbe. Il ne faisait pas bon narguer la grammaire en ce temps-là.

Interpellé par moi au sujet de l’hôtel Pimodan, dont je me rappelais fort bien avoir remarqué la tablette de marbre, quai d’Anjou, mon cocher de cabriolet resta court.

— Vous voulez dire, sans doute, l’hôtel Lambert, mon bourgeois ? reprit-il avec assurance.

Je n’étais pas en train d’entamer une discussion scientifique. Arrivé au numéro 17 du quai d’Anjou, je fis signe à mon automédon d’arrêter.

— Vous voulez dire l’hôtel des teinturiers ? poursuivit-il, je passe souvent par là, et je vois couler devant cette maison des ruisseaux de toutes couleurs.

Les abords du vaste hôtel, portant sur sa plaque de marbre ce nom : Hôtel Pimodan, étaient loin en effet d’être fort beaux ; une fumée épaisse, nauséabonde, s’échappait des caves aux larges portes ouvertes sur le quai d’Anjou comme autant de vomitoires. Bravant ces exhalaisons délétères, je pénétrai dans l’hôtel, non sans peine toutefois, car le portier avait la consigne. Ce portier avait dû vivre du temps de M. de la Reynie. Représentez-vous le cocher-fantôme de Scarron au pays des ombres[1], sa toux seule put me convaincre qu’il existait.

Il ne tarda pas à m’introduire dans une cour de belle apparence, où triomphait l’herbe poussant dans les jointures du pavé. Cette cour est froide et triste. Deux lions massifs, placés aux coins de la grande porte, soutiennent une des extrémités de la façade du côté de la cour ; toutefois cette sculpture est d’un bon style. De larges écuries forment le rez-de-chaussée du fond, dont le premier étage n’a rien que d’ordinaire et ne renferme pas une seule pein-

  1. Je vis l’ombre d’un cocher
    Avec l’ombre d’une brosse
    Brosser l’ombre d’un carrosse.