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LE SECRET DE L’ORPHELINE

ver de nouveau, la jeune fille sent un soupir gonfler sa poitrine ; puis, l’escalier gravi, c’est le coup de sonnette prolongé, à la porte de chez sa marraine.

Mme  Favreau a levé les yeux, et, de son pas lourd qui fait tressaillir les meubles, elle s’en va tirer le verrou. Ah ! mais c’est une si belle visite…

— Bonsoir, marraine !

Avant de pouvoir même s’y attendre, Mme  Favreau reçoit un chaud baiser.

— Bonsoir, bredouille-t-elle. C’est-il à cause…

— C’est à cause de votre invitation, oui, mais c’est aussi parce que j’ai du plaisir à venir vous voir. Je l’aime, moi, ma marraine. Est-ce ma faute ? Est-ce qu’on peut s’empêcher d’aimer quelqu’un qui vous est sympathique…

Mme  Favreau reste là, déconcertée. La retrouvera-t-elle autre à chaque rencontre, cette filleule étonnante ? Après lui être apparue éblouissante de jeunesse heureuse, elle s’éclipse sans raison puis réapparaît, la mine longue, et, sur la réflexion qui lui en est faite, se met à rire — trop on dirait — prolonge sa visite, se retire, toujours très gaie et enfin, la voilà qui vous apporte un air sérieux et calme et rassis de femme d’âge.

Et cette protestation d’affection… On la dirait sincère !

— Vous avez eu votre lettre, au moins ! s’informe-t-elle.

— Ma lettre ?

— Votre lettre d’hier ?… Quand j’ai vu que vous ne veniez pas, j’ai changé l’adresse et je l’ai jetée dans la boîte.

— C’est que j’arrive directement du bureau. explique Georgine. J’ai travaillé jusqu’à huit heures ; hier jusqu’à neuf ; vous m’avez écrit, marraine ?

— Ce n’est pas moi. Je parle d’une lettre qui est arrivée ici, pour vous. J’étais allée vous la porter et j’ai eu, un moment, l’idée de la laisser à cette femme chez qui vous demeurez. Mais elle ne m’a pas paru bien discrète, toujours à me questionner… Alors, j’ai rapporté la lettre parce que je croyais que vous viendriez hier soir.

D’emblée, Georgine approuve :

— Vous avez bien fait, marraine.

Et s’étant installée dans son fauteuil de prédilection, elle invite :

— À présent, causons si vous le voulez bien.

— Comme vous voudrez, fait Mme  Favreau, enchantée.

Si sa filleule la déconcerte, elle juge en tous cas difficile d’échapper à la séduction qui émane d’elle. Le sourire de Georgine l’encourage même si fort qu’elle se résout à parler. Oui, cette fois, il faut qu’elle trouve le moyen de lui dire : « Est-ce que vous ne vous ennuyez pas à vivre comme cela, seule au milieu d’étrangers ? Moi aussi, je suis bien seule. Si je vous offrais une chambre, gratuitement, dans ma maison, l’accepteriez-vous ? »

C’est pourtant très simple à dire et il y a des moments où il lui semble que, dans cette offre, c’est surtout elle qui donnera. Qu’est-ce donc qui lui en rend l’aveu si coûteux ?

— Marraine, commence Georgine, vous ne pouvez croire combien j’ai pensé à vous, depuis hier !

— Vous m’en direz tant…

— J’ai échafaudé des projets magnifiques où vous entrez pour une grande part.

Plus expéditive que celle qui tendait en ce moment vers elle son oreille ingrate, la jeune fille se mit en devoir de développer ses plans, en poussant dans les moindres détails.

— Est-ce curieux ? intercala soudain Mme  Favreau. Je voulais justement vous faire une proposition de ce genre, mais qui ne concernait que vous. Je pensais à vous offrir une chambre… ici… Et même les repas, si vous aviez voulu. Il y a de meilleure fricoteuse que moi, mais enfin, en me disant vos goûts… Il est bien entendu que je n’ai jamais eu l’intention de peser sur votre volonté. À votre âge, on aime être son maître et vous voyez que si je vous en parle aujourd’hui, c’est après que vous-même…

— Après que j’ai fait la moitié du chemin, aide complaisamment Georgine. Marraine, allons-nous bien nous entendre, puisque nous télépathisons de la sorte ! Mais vous me permettrez de continuer, car je n’ai pas tout dit.

Il y avait longtemps que Georgine ne s’était exprimée avec cette allégresse, alors que sa féconde endiablée d’autrefois lui valait tous les succès. Elle ne s’était donc pas trompée : un instant abattue par l’orage, elle allait se relever, plus forte que jamais.

Toutefois, Mme  Favreau restait plus ef-