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LE SECRET DE L’ORPHELINE

— Si cela vous amuse, répond simplement la jeune fille en préparant sa tasse.

Car il faut d’abord la débarrasser du liquide qu’elle peut contenir, puis on la renverse dans la soucoupe et, enfin, on donne trois petites tapes sur le fond.

Georgine a d’ailleurs cru saisir une lueur de malice dans le regard qu’ont échangé entre elles ses compagnes. N’ayant jamais d’elle l’ombre d’une confidence, elles ne seraient pas fâchées, sans doute, de sonder ce qu’elle peut bien cacher sous sa grande liberté d’allures.

Et la sybille improvisée commence :

— Vous recevrez bientôt une lettre qui ne vous causera aucun plaisir. Ensuite, vous entendrez parler de mortalité par une femme brune. Défiez-vous de cette femme car elle cherche à vous faire du tort. Il y a une autre femme moins brune, presque blonde, qui vous veut du bien, celle-là, mais on dirait que vous la fuyez. Un homme brun, que vous n’avez pas vu depuis longtemps mais à qui vous pensez souvent, cherche à se rapprocher de vous ; il a une nouvelle à vous apprendre. Quant à vos dispositions d’esprit, elles sont excellentes ; elles vont même jusqu’à la joie car… vous n’avez pas laissé fondre tout votre sucre.

— Ce n’est pas si mal, fait Georgine, gardant à dessein son air de sphinx. Maintenant, si ça vous le chante, petites amies, allons travailler !

Cependant, durant le trajet de la pension au bureau, elle eut elle-même grand’-peine à articuler quelques mots. Un émoi puissant la tenait et cette dénégation emplissait tout son esprit :

— « Ce n’est pas un brun, c’est un blond et il est impossible qu’il songe à se rapprocher de moi. Impossible, vous dis-je, car depuis longtemps, tout est fini entre nous. »

À peine Georgine refermait-elle sur elle la porte du vestibule, ce soir-là, que la maîtresse de céans montrait son museau fureteur.

Il est venu quelqu’un pour vous, dit-elle.

Le cœur de Georgine battit de surprise ; elle n’attendait personne. Qui pouvait-elle attendre ?

— Une dame. Elle est bien restée vingt minutes et puis, elle s’est découragée et elle est partie.

— Mais vous saviez que je travaillais, ce soir, et que je rentrerais tard ?…

L’autre eut son rire désagréable.

— Pensez-vous, demanda-t-elle, que je peux retenir à quelle heure rentre celle-ci et celui-là. J’ai onze chambres.

— S’est-elle nommée ? questionna encore Georgine.

— Elle a dit qu’elle se nommait Mme  Favreau et qu’elle vous connaissait bien sans être votre parente. Elle a ajouté que ça lui ferait plaisir que vous alliez la voir mais de rester bien tranquille si ça devait vous déranger.

Georgine resta songeuse.

Que se passait-il donc ? Sa marraine ne pouvait être malade, au moins grièvement, puisqu’elle était venue elle-même…

Certes, elle irait, et pas plus tard que le lendemain ; ce soir, il était trop tard. Elle en profiterait pour pousser la petite enquête préparatoire à ses desseins. Mon Dieu, est-ce que ce serait la résurrection enfin !…

Et tout haut, à sa logeuse :

— C’est bien, dit-elle. Je me rendrai chez elle demain, en quittant le bureau. Si donc quelqu’un d’autre me demandait, vous saurez à quoi vous en tenir.


II


Il est huit heures. Georgine n’attend pas qu’on le lui fasse remarquer. De cet air sérieux qui imprime bien quelque souffrance à son visage mais qui est quand même un charme, chez elle, elle couvre sa machine, remet en ordre ses affaires, s’habille et s’en va.

Elle n’arrivera pas Boulevard Crémazie avant trois quarts d’heure. Quel motif peut bien avoir porté Mme  Favreau à se rendre jusque chez elle ? Elle se creuserait vainement la tête pour le trouver. Une crainte d’ailleurs, fatigue Georgine : c’est que sa marraine pourrait bien s’être une seconde fois présentée à la pension et qu’on aurait pu l’y renseigner tout de travers. Il est fort sage ce proverbe qui dit qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Pour en éprouver toute la vertu, il faut avoir comme Georgine Favreau passé sa vie chez les autres.

Voici que le tramway tourne à la rue Isabeau. Avant peu, ce sera le Boulevard.

L’arrêt, la descente du tramway, quelques pas dans la rue mi-obscure de ce quartier excentrique, pourtant bien familier à Georgine, si familier hélas, qu’à s’y retrou-