Page:Beauregard - Le secret de l'orpheline, 1928.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
LE SECRET DE L’ORPHELINE

Est-ce le froid qui la pâlit de la sorte ? Mais il fait bon, dans le magasin. La fatigue de la matinée, peut-être ? de ces derniers jours, plutôt pénibles ? Et cet air abattu de vieille femme… En somme, elle est fort excusable de s’être prise pour une autre et l’aventure est plus attristante que risible.

Vexée, d’ailleurs, Georgine se dirige vers le comptoir voisin où une employée lui offre aussitôt services.

— Quelque chose pour vous, madame ?

— Je voudrais, dit Georgine, des oxfords noirs…

— Comme ceci, madame ?

À ce moment précis, une exclamation de joyeux étonnement se fait entendre derrière la jeune fille.

— Georgine !…

Prompte, l’acheteuse se détourna et c’est pour voir Charlotte Lépée qui rit et qui lui tend ses deux mains à la fois.

— Faut-il en croire mes yeux ? reprend la petite française. Quelle surprise ! J’en bénis le ciel ! Mais pourquoi cet air offensé, amie ? Vous me jugez indiscrète ?

— Quelle idée ! fait, au hasard, Georgine.

Au dedans d’elle, c’est bien de cette épithète, pourtant, qu’elle flétrit son ancienne amie. Une véritable fureur la soulève, un moment, contre cette française de malheur.

L’après-midi s’achevait si bien…

Et il a fallu que ce soit elle, encore elle !  !  !

— Me direz-vous, gazouillait Charlotte, ce que vous êtes devenue, depuis le temps… Personne ne vous a plus revue, au journal, et l’on se perd en conjectures, à votre sujet. Mais là, qu’est-ce que je dis ? Un mensonge, amie, un mensonge tout innocent, puisque je ne l’aurai pas voulu. Maud et Katie vous ont aperçue, l’autre soir, simultanément. Comme vous étiez accompagnée, elles n’ont pas trop cherché à vous approcher. Mais vous imaginez que l’affaire a été rapportée au journal où elle a créé toute une sensation. Pourquoi vous cachez-vous, dites ?

— Je demeure maintenant si loin, fait Georgine, du bout des lèvres.

— Bien loin, vraiment ?

Pour toute précision, Georgine indique, de la main, que c’est par là.

Après le chaleureux enthousiasme de son abord, Mlle  Lépée se refroidissait sensiblement. Elle parut vouloir s’éloigner, puis, revenir sur cette décision première. De son côté, Georgine qui examinait les chaussures qu’on lui avait remises, n’en glissa pas moins, entre ces cils, de fréquents regards vers sa visiteuse intempestive ; elle relevait, dans l’apparence générale de la jeune fille, un grand progrès. Ce qu’elle constatait, à l’instant, avoir perdu, on eût juré que par quelque savant sortilège, Charlotte s’en était appropriée. Cette constatation lui entra comme un dard empoisonné, dans le cœur.

— Allons, reprenait avec gentillesse Charlotte, je ne veux pas vous imposer plus longtemps ma présence. Mais je m’en irais plus contente, Georgine chérie, si je vous entendais dire, auparavant, que vous ne m’en voulez aucunement et pour quelque motif que ce soit ?…

Les lèvres de Georgine frémissent, mais il n’y parut pas car la jeune fille relevait en même temps la tête et disait d’un ton ferme :

— Pourquoi vous en voudrais-je ? M’auriez-vous donc causé quelque tort ?

— Justement, je ne le crois pas, s’exclama en riant Charlotte, déjà rassérénée. Mais, voyez-vous les françaises sont si romanesques ; elles se mettent martel en tête pour bien peu de chose, parfois…

Cette boutade lancée, Charlotte ramena sous son bras ses menus paquets et elle allait s’éloigner lorsque Georgine la retint. À quel sentiment obéissait la jeune fille ? Elle-même eût été fort embarrassée de le définir. Ce fut, pour ainsi dire, inconsciemment qu’elle prononce.

— Si rien ne vous presse, Charlotte, attendez-moi donc. J’achève et nous pourrions prendre ensemble quelque chose, au buffet.

Les prunelles grises de Mlle  Lépée irradièrent de bonheur.

Ce fut là toute la réponse de la jeune fille, mais Georgine en goûta, jusqu’à l’amertume l’éloquent langage.

Descendues au premier, elles s’attablaient l’une près de l’autre, devant l’étroit comptoir de marbre gris où on allait leur servir du café brûlant avec des petits fours.

Candidement, Charlotte s’était imaginé qu’en la retenant avec cette spontanéité, Georgine obéissait au besoin de décharger le trop plein de son cœur et que de douces