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LE SECRET DE L’ORPHELINE

mour, ce fut bien votre Jacques, ma Georgine. Dites-le moi, ce mot d’éclaircissement que je réclame à genoux et je vous promets que les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. Il est impossible qu’un obstacle sérieux nous sépare. Il y a aussi un baromètre des âmes et ce sera pour avoir négligé de le consulter que vous vous serez effrayée à tort. S’il vous semble trop pénible de tout dire, mettez-moi au moins sur la voie et je vous promets de suer sang et eau pour parvenir à la vérité. C’est de cette soirée à Viauville que date votre détermination ?

Georgine était en supplice. Depuis près d’une heure qu’ils discutaient de la sorte. Le cœur de la pauvre enfant saignait, bien plus du chagrin qu’elle causait que de sa propre souffrance. Dix fois au moins, depuis le commencement de cette détestable entrevue, elle avait failli cacher ses pauvres yeux honteux et tout avouer. Aurait-elle seulement le courage de résister jusqu’à la fin ?

Lorsque Jacques rappela cette soirée d’amis à laquelle ils avaient assisté ensemble, une dizaine de jours auparavant, elle crut avoir trouvé la diversion qui les ferait sortir de ce sujet pénible.

— La soirée de Viauville, affirma-t-elle, n’est pour rien dans cette affaire, mais vous me permettrez de vous laisser voir les instantanés qu’on y a pris. C’est la petite Katie, du journal, qui les a développés.

Sans mot dire, Jacques s’inclina.

Presque en courant, la jeune fille monta à sa chambre. Chose curieuse, c’est là, surtout, qu’elle pensa étouffer de chagrin. Éloignée de Jacques et n’ayant plus, devant les yeux, sa face désolée, elle se sentit triste à mourir. Si elle lui laissait pressentir la chose, comme il désirait ?… Pourra-t-elle, seulement, sera-t-elle en mesure de supporter le poids de cette solitude qu’elle se prépare ? Être seul, elle l’a écrit elle-même, un jour, en un moment de prescience, c’est l’affreux lot des plus déshérités. À deux, tout se supporte, mais quand on est seul… ?

Cependant, lorsqu’elle reparut au salon avec, aux doigts, les petites images noir et blanc, Georgine portait sur son front la même résolution têtue qu’au début de la soirée.

Jacques ne fut pas sans le remarquer. Il avait saisi, également, son intention de ne plus discuter et s’il acceptait d’examiner les instantanés, c’était dans l’unique but de parfaire ses observations. Ensuite, il déciderait, une fois pour toutes, du parti à adopter.

Aussi prolongea-t-il son examen, en feignant un grand intérêt.

— Très réussi, affirma-t-il enfin, en rendant à sa compagne la dernière petite carte glacée.

Il consulta sa montre et ce fut lui, cette fois, qui invita :

— Allons chez Mlle Lépée.

Son accent était plus dégagé et on eut juré qu’il avait hâte, maintenant.

Le minuscule logis que Charlotte partageait avec sa mère était un vrai nid coquet où les arrivants se virent reçus comme des amis de vieille date. Pendant que la mère et la fille rivalisaient d’amabilité à leur égard, Jacques considérait avec mélancolie le portrait de Georgine qui souriait, en bonne place, sur le piano. Sa mémoire se raffermissait, maintenant : C’était bien ici qu’il l’avait vue pour la première fois. Se pouvait-il qu’après l’avoir connue de par un aussi heureux concours de circonstances, il la perdit sottement ? Cette conviction entrait mal dans son entendement. Il s’accusait d’avoir manqué de doigté dans l’exercice de ce rôle de magister assumé depuis peu. Surprise, froissée, Georgine avait dû se replier sur elle-même et « découvrir des choses », comme elle disait. Il en était sorti cette belle résolution de ne plus le recevoir. Mais, foi de Breton, le dernier mot restait à dire.

Comme il ramenait au tramway sa belle fantasque, il proposa :

— Madame votre marraine, m’avez-vous dit, demeure dans les environs ?… N’aimeriez-vous pas lui souhaiter le bonsoir, en passant ?

— Y songez-vous ? protesta Georgine, avec une sorte d’effroi dans les yeux. Il est beaucoup trop tard, surtout pour elle, et avec votre accent et votre éloquence française, vous l’intimideriez.

Surpris de cette vivacité à refuser, son offre, Jacques songea :

— « Serait-ce sa marraine, la cause indirecte de toute cette sotte affaire ? Une tache dans la famille… ? »

Attristé, il se montra dès lors plus miséricordieux et lorsqu’il eût déposé la jeune fille à sa pension, il lui tendit la main, disant :

— Merci, Georgine, du bonheur que vous m’avez donné. À distance, nous resterons de francs amis, voulez-vous ?

— Je le veux bien, répondit-elle, d’une voix étouffée.

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Miss Munroe est enfin revenue de son long