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LE SECRET DE L’ORPHELINE

chemin de la fortune, sa situation sociale actuelle n’était pas ce qu’on peut appeler brillante. Mais Georgine avait-elle le droit d’être si difficile ?… Quoi qu’il en fût, Émile possédait du caractère, ce qui ne se rencontre jamais chez le vulgaire. Comme M. Hannett, lui aussi l’adorait…

Georgine était rendue à sa chambre. Accablée, elle retira son chapeau et, comme l’autre soir, elle se jeta sur le divan comme dans un refuge. La tête enfouie dans un mol coussin, elle resta longtemps à laisser ses pensées battre, comme un flot, ses tempes enfiévrées.

Lorsqu’elle se releva, sa dernière résolution était prise :

— « Je les fuirai tous. »


IV


— Maintenant, allons chez Charlotte.

— « La perfide ! songe Jacques. C’est donc sérieux puisqu’elle a calculé jusqu’aux moindres détails ? Elle s’est dit que lorsque la conversation deviendrait trop embarrassante, elle n’aurait qu’à parler de la sortie à faire. »

Et, tout haut :

— Eh bien, déclare-t-il, nous n’y allons plus chez Charlotte.

Georgine lève sur lui ce regard chargé qu’il ne lui a jamais vu, encore, et qui l’oppresse.

— Vous avez promis, reproche-t-elle simplement.

— Georgine, qu’avez-vous ? Vous devez me le dire. Sachez que votre manque de confiance me blesse profondément. Il me semble que je n’ai pas mérité d’être traité avec cette rigueur.

— S’il m’était permis de le faire, croyez-vous que je refuserais de m’ouvrir à vous ? À votre tour, ayez confiance. Faites crédit à mes paroles.

— De quoi me punissez-vous, Georgine ? C’est après tout ce que je vous ai confié de mes souffrances de sans-patrie que vous me rejetez de la sorte ? Vous avez mis le bonheur à ma portée, meilleur encore que je n’eusse pu le pressentir et maintenant, vous jouez ce jeu cruel de me le retirer ? Je ne vous connaissais pas ainsi. Non, je n’aurais jamais prévu ce moment.

— Vous êtes assez jeune pour refaire votre vie.

Il eut son rire facilement sarcastique.

— Parlez pour vous, riposta-t-il.

Georgine tressaillit et elle crut que des larmes allaient paraître à ses paupières.

— Ai-je donc l’air, se plaignit-elle, de quelqu’un qui songe à refaire sa vie dans le sens qui nous occupe ?

— Alors ?…

— Je vous répète que j’ai compris des choses… Quand je le désirerais avec toute mon énergie, je ne pourrais plus faire votre bonheur. Je me trompais et vous aussi, Jacques, vous faites fausse route en vous obstinant de la sorte. Croyez-moi. Il vaut mieux trancher tout de suite la situation.

— C’est cela, gouailla-t-il, décidez vous-même. Vous savez mieux que moi ce qui me convient.

— Pour peu que vous le désiriez, reprenait Georgine, de la même voix lasse, Mme  Lépée pourrait vous introduire dans quelques familles de compatriotes. Ses relations sont peu nombreuses mais choisies.

— Et moi je vous dirai que je vous apportais ce soir un mot bien sérieux, un mot qui lie. Ah ! je suis bien tombé… Mais supposons que ce mot, je l’aie prononcé et que vous y ayez répondu ; supposons que nous ayons prêté serment tous deux, au pied de l’autel. Vous voyez-vous, un beau jour, m’annonçant que vous ne pouvez plus faire mon bonheur, comme vous dites, et vous refusant même à m’expliquer pourquoi et en quoi… ?

— Rien ne nous lie encore, heureusement.

Les veines se gonflèrent en V sur le front de Jacques dont la figure prit une teinte rose-vif.

— De mieux en mieux, s’écria-t-il, ma chère, vous êtes délicieuse. Mais moi, je suis bien bon de discuter avec un roc. Je devrais plutôt m’incliner et, après vous avoir remerciée de votre sollicitude pour mon bonheur, me retirer et disparaître à jamais de votre entourage. Admirez ma sottise puisque je ne l’ai pas encore fait. Au moins, c’est bien ce que vous désirez, me voir disparaître ?

La réponse arriva, faible comme un souffle, mais ferme tout de même :

— Oui.

Il voulut revenir à la douceur et, ployé dans sa détresse, les doigts joints et les coudes aux genoux :

— Georgine ! supplia-t-il. Si vous pensiez un peu à moi dans tout cela… Il vous suffirait d’un bien petit effort de l’imagination pour vous représenter les souffrances de ma vie brisée. Non, elle ne se recommence pas, la vie, après qu’on s’est donné. Et si quelqu’un a été sincère en vous apportant de l’a-