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nous éclairez.

Le mois s’acheva et, l’on entamait décembre quand, un soir, M. Rastel parut, au souper, en compagnie d’Édouard.

— Je vous amène, commença-t-il, un méchant garçon…

Mais on l’avertit, au même instant, qu’il était demandé au téléphone.

À table, outre Raymonde et Noëlla, il y avait déjà Jean-Louis, qu’une maladie récente et fort grave a curieusement mûri et Louisette dont les cousines se passent de plus en plus difficilement. La petite amie de Paule recueillera, jusqu’au bout, l’héritage abandonné par celle-ci, car avec l’assentiment de leur père, ses protectrices viennent de lui constituer en dot la vieille maison de l’Assomption ; on l’a rachetée, ces temps derniers, en prévision du jour où il faudra remettre la Pension aux pupilles de M. Wilson, et quand Louisette se mariera elle en deviendra la propriétaire, mais c’est à une condition tout à fait raisonnable : qu’elle accepte à son foyer, M. Rastel et ses deux filles.

Le repas se poursuivait depuis assez longtemps lorsque M. Rastel se rappela la confidence interrompue. Ce fut au flegme parfait de l’intéressé qu’il laissa tomber ces paroles :

— Édouard vous a-t-il dit qu’il m’avait remis sa chambre ?

Les ustensiles s’échappèrent des mains molles de Raymonde ; ses yeux chavirèrent, dans leur orbite et c’est d’une voix effrayante d’altération qu’elle murmura :

— Vous vous en allez, Édouard ?…

Il fut satisfait. Cette minute, il l’attendait et il la savoura sans un sursaut de sa sensibilité. Raymonde lui devait cela pour son humiliante pitié du jour de la lettre, pour les années de servage, pour Paule… Quand elle aura beaucoup souffert par lui qui sait ?… Maintenant que Paule n’est plus là pour lui porter ombrage, et même à cause de Paule, peut-être lui deviendra-t-elle chère ?…

Il répondit :

— Le vagabondage et moi, nous sommes de vieilles connaissances et dès là que mon frère a fini ses études, rien ne m’oblige plus d’habiter le quartier. Jean-Louis, ajouta-t-il, est même fiancé ; il me quittera forcément, un jour ou l’autre…

Raymonde avait repris son maintien digne et elle remuait en elle de profondes réflexions : elle songeait à cette décisive influence qu’avait exercé sur son entourage, partant où elle avait passé, cette petite Paule si calme et discrète. Pour sa part, Raymonde attribuerait aussi bien la transformation de Jean-Louis aux mérites de l’angélique enfant qu’aux prières d’Élisabeth ; il lui doit, en tous cas, sa fiancée et il est très permis de supposer que Louisette, élevée à l’école du devoir, exercera sur son mari l’ascendance la plus heureuse.

Aussi, répondant au mot de son cousin : « Le vagabondage et moi »… elle dit :

— Vous serez seul, Édouard, à ne pas changer…

Saisit-il sous la phrase vague, la pensée entière ? Quoi qu’il en fût, il ne répondit point ; mais il cacha davantage ses yeux et, d’un geste coutumier, rabattit sur ses lèvres sa moustache rousse.


FIN