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L’EXPIATRICE

médecin. Cette insistance de Noëlla à l’asservir au régime prescrit et cette réponse mécontente et hautaine que lui avait donnée la même Noëlla, lorsqu’elle s’était déclarée fatiguée du lit…

Par exemple, si on avait cru cela !…

Et Paule avait pleuré, dans la nuit, pleuré de souffrance, de fatigue et de fierté outragée.

Le lendemain, toutefois, ses suppositions de la nuit lui parurent toutes plus falotes et inconsistantes les unes que les autres et elle se déclarait incapable d’atteindre à la vérité. Elle laisserait faire et tout finirait peut-être par s’arranger.

Cette dernière journée qu’il lui était donné de passer à la ville, elle la vécut bien misérablement. Se sachant en suspicion, elle osait à peine lever les yeux et le contact avec les trois parents qui la rejetaient sans lui retirer leurs bontés lui était des plus pénibles. D’ailleurs ; elle ne parvenait pas à rassembler ses idées et à se faire une opinion nette de sa situation. Elle gardait l’impression de traverser un cauchemar dont il faudrait bien qu’elle se dégage.

Paresseusement, elle refusa de sortir, remettant au lendemain de banals adieux à sœur Éloi qu’elle lui ferait par téléphone. Une prostration moindre toutefois que celle qui l’avait déjà terrassée dans l’appartement d’Élisabeth, au Foyer la tint près de deux heures clouée sur un fauteuil, dans sa chambre. C’était sur la fin de l’après-midi et Paule ne trouvait plus l’énergie de rien faire qu’attendre, les yeux fixés sur le gros réveil à la monture de nickel et au tic-tac sonore qui, de ses deux aiguilles en mouvement lui faisait signe que les minutes fuyaient et fuyaient.

Au repas du soir, il y eut quatre convives de plus qu’à l’ordinaire, soi-disant en son honneur, à elle, qui allait partir. C’étaient les deux messieurs Dufresne, Élisabeth et M. Wilson, le propriétaire de la maison, venu par hasard au cours de l’après-midi et qu’on avait retenu pour la soirée. Raymonde avait, en plus invité le docteur Villeneuve qui était aussi un ami de la famille, mais celui-ci avait dû s’excuser.

À table, M. Wilson s’occupa particulièrement de Paule qu’il n’avait eu l’occasion de voir que deux ou trois fois, déjà. C’était un beau vieillard grand et sec, aux cheveux tout blancs et aux manières courtoises.

— Vous allez demeurer à St Antoine de Tilly, mademoiselle ? fit-il. Un beau petit village, situé au bord du fleuve. On y voit passer les transatlantiques, tout illuminés, le soir, et tout bruissants de musique. Il m’est arrivé de coucher deux soirs de suite à St Antoine de Tilly, alors que je voyageais pour la compagnie Perreault-Lachaine.

— La mère de Paule est née dans les environs, M. Wilson, fit remarquer Raymonde : à Ste Croix de Lotbinière.

— Ah ! oui, Ste Croix… Je connais mieux encore Ste Croix que St Antoine. C’est voisin : à… neuf milles, je pense. Je m’y suis arrêté souvent. N’est-ce pas à St Antoine qu’est né le poète Pamphile Lemay ? On y rencontre, en tous cas, beaucoup de Lemay et des Beaudet et des Barabé et des Côté… C’est très québéquois, là-bas : on y grasseye à plaisir et on ne perd jamais sa petite chance de pousser une pointe à Montréal. Les gens sont d’ailleurs là-bas, d’un excellent naturel quoiqu’assez près de leurs pièces ; les visages sont ouverts, agréables. Je n’ai jamais vu, ailleurs, autant de grands yeux gris…

Lorsqu’on quitta la table pour passer dans le boudoir. Édouard s’approcha de Paule et, sans préambule :

— Ce soir où vous reveniez à pied du couvent, dit-il, vous m’évitiez, n’est-ce pas ?

D’un signe de tête, elle avoua.

— Pourquoi ?

En quelques mots, les premiers qui affleurèrent à son esprit, elle le lui expliqua.

Chose qui la surprit, au lieu de déplorer, en s’impatientant, Édouard avait paru savourer cette réponse qu’elle lui donnait.

Puis, avec une douceur tendre :

— Vous m’écrirez, de là-bas ? avait-il prié et ordonné tout ensemble.

En ce moment, comme elle tournait la tête, Paule fit une remarque qui lui causa un violent dépit. C’est que Raymonde, Noëlla, Jean-Louis et le vieux M. Wilson formaient un même groupe très animé et causeur dont l’aînée de ses cousines s’était constituée, pour ainsi parler, le chef d’orchestre, tandis qu’elle surveillait sans les voir les deux isolés qu’ils faisaient, près de la porte. Édouard et elle. Élisabeth et M. Rastel, causant eux aussi, se dirigeaient sans hâte vers ce groupe et en une intuition fulgurante Paule comprit que Raymonde favorisait son tête à tête avec le cousin. Le rouge lui en monta au front.

C’est en ce moment qu’elle comprit et que le voile se déchira de toutes parts. Elle recula et, à celui qui, incliné, attendait une amoureuse promesse :

— Non, jeta-t-elle avec une véhémence qui lui demeura inexplicable, je ne vous écrirai pas et je vous défends de troubler vous-même mon repos. Je vous le défends, redit-elle. Si vous m’écrivez, je vous retournerai vos lettres sans les ouvrir.

Et en elle-même elle gémit, épouvantée :

— Elles ont tout découvert et elles condamnent ma conduite. Je suis perdue !


TROISIÈME PARTIE

XVI


La plume que Paule vient de tremper dans l’encre murmure en sourdine sur le papier ; elle va elle va et puis, tout d’un coup, elle s’arrête. Paule la replonge dans l’encrier, elle fait dégorger le trop plein de l’encre, remet un peu de la liqueur noire au bout de la pointe et ramène sa main à la ligne commencée : mais, après tous ces préparatifs, la jeune fille hésite, elle cherche et, finalement, elle n’écrit pas.

Après quelques velléités de tracer ce premier mot — le plus difficile — qui entraînerait à sa suite tout une phrase, elle en prend subitement son parti et, d’un mouvement dépité, rejetant sa plume, elle s’adosse bien au fond de son fauteuil. Les larmes qui