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L’EXPIATRICE

Paule serait encore tombée ?…

Mais elle fait fausse route, elle le voit bien et, laissant en souffrance le casier à musique qu’elle rangeait, elle se précipite vers sa sœur qui l’étreint et se met à sangloter sur son épaule.

Enfin, un peu plus maîtresse de ses nerfs, la pauvre aînée se laisse tomber sur un fauteuil et, quand sa sœur s’est assise à son tour, d’une voix entrecoupée, elle lui raconte l’histoire de la lettre.

— Es-tu sûre qu’il s’agisse de Paule ! insiste Noëlla dont les yeux si ouverts semblent brûler le visage.

— Autant qu’on peut l’être, voyons. La description est criante d’exactitude.

La cadette reste songeuse.

— Écoute, fait-elle, je ne t’en avais pas parlé…

— Qu’y a-t-il donc encore ?

— Il est même probable que j’en serais venue à l’oublier puisque je m’y appliquais. Mais hier…

— Eh bien ?

— Elle est entrée tard. Moi, j’arrivais dans le passage et, justement, je m’étais immobilisée en pensant à elle, lorsqu’elle m’apparut tout à coup, sur les dernières marches de l’escalier. Tout bonnement, je fis quelques pas à sa rencontre et je la vis regarder d’un air craintif. Sans doute ne distinguait-elle pas… Il est si sombre, ce passage, même en plein jour, quand on arrive de dehors. Alors Raymonde… elle est montée à l’étage des messieurs.

— L’hypocrite serpente ! s’écria Melle Rastel. Dans ma maison ! Et tu n’as pas eu l’idée de lui courir après, Noëlla, et de l’écraser de honte, si elle est capable de rougir ?

Noëlla secoua la tête.

— Je n’ai pas pu, Raymonde. Soupçonner Paule… Cela m’a paru totalement impossible et je me suis torturé le cerveau pour lui trouver un motif tout simple d’agir. Enfin, dans ma perplexité, je me suis dirigée vers sa chambre où je suis arrivée juste à point pour l’y voir entrer. Il n’était donc pas possible qu’elle se fût attardée chez les pensionnaires. Si elle n’avait pas pris cette curieuse précaution de sonder le passage avant de monter, c’est moi qui aurais eu honte de mes demi-soupçons.

— Comme il était tard, elle s’est sans doute contentée de prendre la lettre. Noëlla, je te promets qu’elle ne fera pas vieux os ici cette fille. Ah ! Élisabeth !

Et rageuse, maintenant, elle passait et repassait son mouchoir sur ses yeux qui ne pleuraient plus.

— Calme-toi, conseilla sa sœur. Nous allons d’abord l’interroger, là, adroitement, sans lui laisser voir…

— Mais, Noëlla, quelle preuve te faut-il encore ? La lettre n’est-elle pas explicite ? Parle !

— C’est bien accablant, murmura la jeune femme.

— Je me jugerais en conscience de l’exposer à de nouveaux mensonges. Crois-moi, il n’y a qu’un parti à prendre : c’est de la passer à d’autres. Élisabeth a toutes les pitiés, elle ; c’est d’elle que nous la tenons ; elle la reprendra !

— Tu oublies, Raymonde, dans quelle position exceptionnelle elle se trouve. Aurais-tu le courage de la renvoyer malade ?

— Je dirai plutôt : le moment est bon. Songe donc que le docteur recommande formellement la campagne ! ! Je ne la supporterai pas davantage sous mon toit. Non non. Le temps des démarches préliminaires et…

Elle fut interrompue par un léger heurt à la porte.

— Eh bien ? fit Noëlla.

C’était Paule qui demandait la permission… de se lever.

— Je crains, assura-t-elle souriante et avec un joli mouvement de tête, de faire un indigestion de repos.

— C’est pour vous, répliqua froidement Noëlla.

Interloquée, Paule serra instinctivement les lèvres et, après un faible merci, elle s’éloigna.

C’est qu’elle craint d’avoir été indiscrète en dérangeant ses cousines qui causaient avec animation. Peut-être aussi se sont-elles froissées parce qu’elles ont jugé plutôt ingrate son insouciance à suivre les conseils du médecin ; après les bons soins qu’elles-mêmes lui ont prodigués, la veille…

Ces deux alternatives la rendent si malheureuse qu’elle a envie de pleurer.

 

— Est-ce que, par hasard, ceci ne vous appartiendrait pas, Édouard ?

Raymonde a parlé de son ton habituel, joyeux et dégagé. C’est en bas, dans le hall — Édouard rentre tout juste de ses cours et, sa main droite familièrement posée sur le bras du chevalier, Raymonde tend de l’autre, à son cousin, la lettre trouvée ce matin même par la femme de chambre.

Les yeux d’Édouard s’agrandissent et rejettent les sourcils. Aucune suscription sur l’enveloppe, mais il croit la reconnaître et… comment Raymonde l’a-t-elle elle-même reconnue pour sienne ?

La pâleur fugitive qui a envahi le visage de son cousin apporte à Raymonde la preuve ultime qu’elle désirait. Cette preuve, elle l’a promise à Noëlla qui lui a conseillé : « Prends garde. Tu sais comme il est secret. Il pourrait te garder rancune toute sa vie de l’avoir découvert ».

— C’est la femme de chambre qui l’a trouvée dans le petit escalier, expliqua Raymonde Elle me l’a remise et comme j’ai cru reconnaître votre griffe, en dépliant la lettre, je l’ai repliée aussitôt et voilà.

Non, elle ne lui dira point, comme promis à Noëlla, qu’elle a lu quelques phrases. Non, pas même la fantaisiste signature. Elle n’a rien lu, car il fait trop pitié, là, pantelant devant elle et hésitant sur le mot à prononcer et le geste à faire.

Elle ne songe plus qu’à le secourir et, lui mettant presque la lettre dans la main :

— Et bien, qu’en dites-vous ? fait-elle.

— Je crois qu’en effet… balbutia-t-il.

Et pendant qu’elle s’éloigne vers l’office, il réentend sa bonne voix réconfortante :

— N’est-ce pas qu’on a d’excellentes cousi-